Monsieur Spartaco
Mattotti
(seuil)
Lettres d'un temps éloigné
Mattotti
(casterman)

Et non, désolé de vous avoir fait une fausse joie mais ni "Monsieur Spartaco" ni "Lettres d'un temps éloigné" ne sont LE nouveau Mattotti. Le premier cité est en fait une nouvelle édition revue et augmentée d'une préface de "Signor Spartaco" paru aux Humanoïdes Associés en 1983 tandis que le second est un recueil de quatre histoires publiées ces dernières années dans divers magazines. Pourtant, cette double sortie tombe idéalement pour faire le point sur celui que beaucoup considèrent comme l'un des plus grands maîtres de la bd actuelle. Mattotti, c'est d'abord un choc visuel, comme en atteste "Monsieur Spartaco", sa première bd à s'aventurer hors du territoire du noir et blanc, véritable explosion de couleurs. Vives. Tranchées. Du bleu. Du jaune. Du rouge. De l'orange. L'italien ose tout. Et dès 1983, on remarque les penchants du dessin de Mattotti : ces formes géométriques, qu'il ne cessera de faire évoluer, abandonnant progressivement les angles trop marqués pour les courbes et autres arrondis, plus doux, plus sensuels. Mattotti, c'est aussi une autre façon de raconter les histoires. Très tôt qualifié de poète, sa narration s'attache moins à narrer une histoire qu'à explorer des sensations, qu'à rendre des émotions, qu'à mettre à jour des sentiments. A ce titre, "Monsieur Spartaco" est presque une déclaration d'intention puisque l'album a pour protagoniste un doux rêveur, un homme qui n'arrive pas à vivre dans la réalité du présent, à vivre avec les autres. Il se bat au quotidien contre le souvenir des humiliations subies dans son enfance, des violences rencontrées à l'adolescence. Toutes ces cicatrices psychologiques le ramènent sans cesse à son passé et l'isolent des personnes qui l'entourent. Le dessinateur s'en donne à coeur joie, passant constamment du rêve à la réalité, représentant le passé de Spartaco par des monstres qui le harcèlent et le dupent. D'une grande originalité pour l'époque, le scénario est cependant parfois maladroit et confus, trop pressé d'en découdre, trop démonstratif aussi. Petit à petit, Mattotti intégrera plus d'aérations, plus de moments de respiration à ses scénarios. Cette évolution est évidente dans ses dernières oeuvres et notamment dans les quatre histoires compilées dans "Lettres d'un temps éloigné". Le temps, justement, y est comme suspendu et les histoires sont des sortes de parenthèses introspectives laissant tout loisir au lecteur de se perdre dans le dessin virtuose de l'auteur et de se rapprocher de ce que ressentent les personnages. Du grand neuvième Art.

[sullivan]

 

<< BD
HOME >>