Le
pauvre type
Matt
delcourt
En même temps que
Vincent Bernière, c’est le catalogue de comics d’auteur
américain qui passe du Seuil aux éditions Delcourt. D’où
cette nouvelle collection, “Outsiders”, créée tout
spécialement pour accueillir les œuvres de Hernandez, Cooper,
Tomine et consorts. Et pour l’inaugurer, Delcourt a eu la très
bonne idée de rééditer “Le pauvre type” de
Joe Matt. Très bonne idée car non seulement “The poor
bastard” (son titre en vo) est le meilleur livre de notre homme mais
parce qu’il permet en plus de mieux comprendre ses autres œuvres,
de “The kids” à “Epuisé”.
Ce roman graphique, sorti en 1996, remonte en quelque sorte aux sources des
problèmes de Joe Matt. A cette époque, le dessinateur est encore
avec Trish. Il y explore en fait ses difficultés à avoir une
relation amoureuse “normale”. En effet, peu à peu, son
incapacité à faire des concessions, son égocentrisme,
sa jalousie ou ses fantasmes masturbatoires deviennent de plus en plus évidents
et éloignent Trish de lui un peu plus chaque jour. Jusqu’à
l’inévitable rupture. Joe Matt se rend alors compte, aidé
par ses amis qui lui ouvrent les yeux, de ses erreurs et essaie de reconquérir
la jeune femme mais sa maladresse et son impatience vouent ses tentatives
à l’échec. Notre anti héros essaie alors de voir
le bon côté du célibat et tente de retrouver une petite
amie…
On retrouve ici le quasi immuable gaufrier de 6 cases, le même dispositif
narratif (avec notamment ces fréquentes discussions avec ses copains
dessinateurs Seth ou Chester Brown, au téléphone ou au café,
qui permettent de varier les scènes) ainsi que des thèmes (comme
son obsession pour la masturbation ou sa pingrerie…) ensuite développés
dans “Epuisé”. Mais “Le pauvre type” est plus
profond et plus dense en ce qu’il explore le côté asocial
de l’auteur et son perfectionnisme maladif qui lui fait trouver des
défauts à tout le monde et l’empêche de nouer des
relations. Ne reste plus alors que les films pornos pour évacuer les
frustrations…
C’est avec “Le pauvre type” que l’on découvrait
l’œuvre autobiographique assez hallucinante de Joe Matt. Unique
en son genre dans sa façon, crue et directe, de mettre à nu
sa propre existence. En forçant le trait et en caricaturant certains
de ses penchants, c’est vrai, mais tout de même…Et si sa
vie n’a visiblement rien d’extraordinaire, Joe Matt parvient justement
à rendre sa banalité drôle (souvent) et même émouvante
(parfois). Un chef d’œuvre du genre.
[sullivan]