Zoo
Frank/Bonifay
aire libre
Début du XXème
siècle. Célestin est médecin mais il passe le plus clair
de son temps et de son argent à s’occuper de son immense zoo
qu’il a implanté en Normandie. Passionné d’animaux,
il recueille et soigne une incroyable variété d’espèces,
bien secondé dans sa mission par Manon, sa fille adoptive, et Buggy,
un artiste qui s’est installé dans sa maison il y a quelque temps
déjà quand il s’est attaché à la jeune fille.
Notre trio vit en totale harmonie avec la faune et la flore dans ce véritable
havre de paix qu’est ce domaine. Jusqu’à ce que le monde
extérieur et la triste réalité ne viennent se rappeler
à eux et briser leur rêve…
Ce zoo, c’est une arche de Noé, avec Célestin dans le
rôle du sauveur. N’a-t-il pas adopté Manon à la
mort de son père ? Et n’est-il pas présent à
chaque fois qu’une créature (un zèbre à la patte
cassée, un singe abandonné) ou un être humain (Anna, rejeté
par son clan) a besoin d’être aidé, soigné et choyé ?
Une sorte de paradis terrestre retrouvé où l’on s’aime,
sculpte, joue, partage. Une terre sans mal, diraient Lepage et Sibran, qui
semble avoir été créée pour préserver ses
habitants des malheurs, de la tristesse ou de la peur. Mais tout comme dans
le récit biblique, l’arche de Célestin connaîtra
le déluge, après, cette fois. Un déluge de bombes et
de feu. Car lui qui pensait protéger les siens en vivant en dehors
de la réalité, va être rattrapé par elle, avec
la guerre.
A l’instar d’Yslaire dans son “Ciel au-dessus de Bruxelles”,
Frank et Bonifay ont voulu créer une sorte de parenthèse enchantée
avec “Zoo”. Une bulle d’utopie en marge des productions
habituelles où il y a besoin de peu de textes pour montrer la joie,
le bonheur, le désir ; où le magnifique dessin de Frank
restitue à merveille la beauté de la nature (on sent dans le
regard des animaux le plaisir qu’a pris le dessinateur à les
faire vivre) et des âmes de Célestin et de ses protégés ;
où l’on prend le temps d’admirer la splendeur d’une
panthère ou la magie d’une femelle oryx mettant bas. Mais une
bulle forcément fragile, comme le rappellent les auteurs dans le troisième
tome et qui finit par éclater. Nous laissant bien amers face à
la folie des hommes mais aussi admiratifs devant cette trilogie vraiment atypique
ici présentée dans une superbe intégrale (avec jaquette,
dessins et textes inédits) qu’Aire libre sort pour fêter
ses 25 ans !
[sullivan]