Cette
présentation de Chomsky et de quelques façons de découvrir
ses analyses éclairantes rejoint ma vision de lengagement
politique, qui est possible au quotidien en passant parfois par des choses
simples, en loccurrence, permettre aux idées de cet incontournable
contestataire américain de continuer à circuler.
[par
Sullivan]
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En
effet, ce dernier est complètement absent des médias nationaux
et les seuls écrits de lui que lon peut trouver sont présents
dans les médias indépendants. Cette absence remonte à
la fin des années 70 et à laffaire Faurisson. Faurisson
était un professeur duniversité qui avait été
démis de ses fonctions pour avoir eu des thèses négationnistes
concernant la seconde guerre mondiale. Sen était suivie une
pétition de près de 500 intellectuels (dont Chomsky) de
tous les pays pour protester contre cette mise à lécart
au nom de la liberté dexpression. Cette pétition a
soulevé un tollé en France et la fameuse pétition
est rapidement devenue la pétition Chomsky, que lon accusa
en même temps dantisémitisme. Ce qui est absurde lorsque
lon sait quil est juif et quil a bien sûr, à
de très nombreuses reprises, fortement condamné la Shoah.
Le seul objet de la participation de Chomsky à cette pétition
était la défense de la liberté dexpression.
Et pour être clair quant à son objectif, ce dernier se contenta
de citer Voltaire : "Je déteste ce que vous exprimez, mais
je suis prêt à me faire tuer pour que vous ayez le droit
de lexprimer".
Avec le recul, limpression que cela donne est que tout cela a été
monté de toutes pièces par certains intellectuels français
pour censurer de façon détournée, cest-à-dire
en évitant que lon sintéresse à ce que
laméricain pouvait dire. Car le souci permanent de Chomsky
est danalyser de façon rigoureuse et objective la politique
américaine mais aussi les démocraties occidentales, leur
fonctionnement et les rapports quelles entretiennent avec les médias,
les intellectuels
Son objectif suprême étant de redonner
envie aux individus dêtre critique, de regarder sous les apparences,
de rejeter ce quon nous propose actuellement et notamment un ultra-libéralisme
qui ne veut faire de nous que des consommateurs passifs : "La foule
doit être détournée vers des buts inoffensifs grâce
à la gigantesque propagande orchestrée et animée
par la communauté des affaires (américaine pour moitié),
qui consacre un capital et une énergie énormes à
convertir les gens en consommateurs atomisés et en instruments
dociles de production (quand ils ont assez de chance pour trouver un travail).
Il est crucial que les sentiments humains normaux soient écrasés
; ils ne sont pas compatibles avec une idéologie au service des
privilèges et du pouvoir, qui célèbre le profit individuel
comme la valeur humaine suprême".
Ceci étant dit, par où faut-il commencer pour découvrir
ce personnage ? Lidéal serait certainement dassister
à lune des nombreuses conférences quil donne
mais ce nest pas chose facile puisquil en donne peu en Europe
et donc en France. Pour ceux qui sont calés en anglais, AK Presse
ou un label indépendant comme AlternativeTentacles ont sorti des
cd's de spoken words avec notamment des extraits de conférences.
Je nai jamais eu loccasion den écouter, mais
ça peut à mon avis être intéressant de lentendre.
Cest-à-dire de se rendre compte de sa façon de faire
passer un message. Pour ceux qui veulent faire plus simple, 7 ou 8 bouquins
de Chomsky sont sortis en France (et en français) dont certains
sont hyper enrichissants. Pour un premier contact, je vous conseille la
lecture de "11/9 : autopsie des terrorismes" (publié
chez Le serpent à plumes) et de "2 heures de lucidité"
(aux Arènes). Leur approche est plus aisée puisquil
sagit dinterviews. Dans le premier, le libertaire américain
revient sur les attentats du World Trade Center en ne se contentant pas
seulement de les condamner mais en essayant danalyser les causes
de ces gestes et en critiquant également la réaction américaine
en Afghanistan, geste tout autant terroriste que celui qui la provoqué.
Le second est plus général : linterview avait été
réalisée avant les attentats. Chomsky y parle notamment
des médias, de la démocratie, du capitalisme, des centres
de pouvoir ou de la mondialisation. Chaque sujet est abordé sur
10 à 20 pages, ce qui ne permet pas forcément à notre
homme de rentrer dans les détails, mais donne malgré tout
la possibilité aux lecteurs dune première approche
de ses thèses. Dautant que lintellectuel américain
y est particulièrement pédagogique, prenant des exemples
concrets pour faire comprendre ses analyses. De plus, cet ouvrage a un
côté ludique puisque linterview est accompagnée
de dessins de Rémi Malingrey.

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Mais
lincontournable est "De la guerre comme politique étrangère
des Etats-unis" (chez Agone). Personnellement, cest mon petit
préféré. Si sa lecture est moins aisée que
les deux bouquins précédents, Chomsky a par contre le temps
daller au bout de sa réflexion. Bon, le titre est suffisamment
explicite pour que lon comprenne de quoi il sagit ! Le livre
réunit en fait 6 articles sortis auparavant dans diverses publications
ou sur le net et tournant autour du même thème. Il revient
sur les nombreuses, voire innombrables interventions américaines
aux quatre coins du globe. Et sur une constante effrayante : les Etats-unis
se réservent le droit dintervenir à chaque fois et
nimporte où leurs intérêts sont menacés.
Il faut ici entendre "intérêts" dans son sens le
plus large : quand la vie daméricains est menacée
ou tout simplement quand certaines entreprises américaines le sont.
Et lintérêt américain va au-delà du droit.
Cest pour cette raison que ce pays na que rarement respecté
les résolutions de lONU ! On nest en fait pas très
loin du "je vous emmerde" du général Sylvestre
des Guignols. Chomsky analyse (dissèque même parfois) de
façon presque scientifique (cest une déformation professionnelle
car il est linguiste de formation) les interventions américaines
au Kosovo, au Timor oriental, au Vietnam ou en Amérique centrale.
Bon, je ne vais pas vous gâcher le plaisir de la lecture, mais sachez
simplement que ce livre est une mine, que lon apprend énormément
de choses. En fait, on les subodorait, mais là, lanalyse
de Chomsky est si rigoureuse et documentée quelle en devient
démonstration. À la fin du bouquin, on a vraiment limpression
quil nous a ouvert (encore un peu plus) les yeux. Dailleurs,
ce qui est marrant, cest quà chaque fois quon
lui parle du rôle quil joue dans la dénonciation de
lultra-libéralisme ou de la politique américaine,
lui répond que ce quil fait est accessible à tout
le monde, et que ce quil faut, cest prendre le temps de trouver
les documents officiels, de recouper les informations, etc
Je ne
résiste pas à la tentation de parler de deux ou trois choses
incroyables que lon peut y lire. Par exemple, chiffres à
lappui, Chomsky démontre quil y a une corrélation
entre les aides financières que les Etats-Unis accordent à
un pays et la volonté de ce pays de respecter la démocratie
et les droits de lhomme. Tenez-vous bien : moins le gouvernement
au pouvoir est démocrate, plus il est dictatorial et réprime
opposants et citoyens, plus les aides financières sont importantes
(et parfois énormes). Les Etats-unis ont en fait toujours privilégié
des gouvernements "forts" pour être sûrs de la stabilité
de celui-ci et de sa capacité à servir ses intérêts.
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Dans
la même logique, il démontre également que la politique
américaine est fluctuante. Alors que les interventions américaines
sont censées viser des états "scélérats",
cette notion de scélérat est différemment interprétée
selon les pays concernés. Au final, on se rend compte quest
état scélérat tout pays ennemi des Etats-Unis. Un
seul exemple : quand Saddam Hussein gaza les Kurdes en 1988, les Américains
(et leurs amis anglais) ne protestèrent pas. Pire, ils confirmèrent
leur soutien à leur allié de lépoque. Mais
quand celui-ci eu le malheur de sattaquer aux intérêts
pétroliers américains quelques années plus tard,
on sait ce quil advint.
Je connais trois autres ouvrager Chomsky en français. "Responsabilité
des intellectuels" (également chez Agone) suit la même
logique que le précédent, en ce quil réunit
quatre articles différents mais se recoupant au niveau des thèmes.
Le critique américain y aborde la responsabilité des intellectuels,
trop souvent enclins à suivre lopinion des élites
en place, notamment concernant les événements du Timor oriental
ou le nouvel ordre mondial. Le style y est le même que dans "De
la guerre
" et on y retrouve la même rigueur scientifique,
gage dobjectivité. Très intéressant, mais un
peu moins essentiel que le précédent.
Enfin, deux petits ouvrages (par la taille). Le premier sintitule
" Instinct de liberté : anarchisme et socialisme " (publication
commune Agone/Comeau et Nadeau). Il sagit en fait de deux petits
textes, écrits il y a quelque temps déjà, dans lesquels
lauteur revient, dans le premier, sur ses idées et sympathies
anarchistes et dans le second sur les différences entre socialisme
et léninisme, mis en place dans les faits sous le nom de "communisme"
en URSS. Lauteur y fait quelques rappels intéressants, dans
une période où lon considère que le seul système
économique viable est, par élimination, le capitalisme puisque
le communisme a démontré, par ses expériences en
URSS et en Europe de lest, quil était dangereux. Or,
Comme le rappelle lauteur, le système politique et économique
mis en place par Lénine après la révolution de 17
navait rien de communiste. Et quen fait, Lénine et
ses acolytes ont contrôlé et manipulé le mouvement
ouvrier à la base de la révolution à des fins de
domination : "pour les léninistes, la population doit être
soumise à une discipline sévère, alors que la lutte
des socialistes vise plutôt à atteindre un ordre social qui
rendra la discipline superflue, les travailleurs travaillant de leur plein
gré". En conclusion, jamais lidéal socialiste
na été mis en place en URSS, ce qui démonte
de fait largument par élimination des néo-libéraux.
Dans "Elections 2000 : les schémas du vote et de labstention"
(chez Sulliver, non, non, je vous jure, ça na rien à
voir avec moi), Noam Chomsky revient sur les dernières élections
américaines. Il parle notamment dune pratique que je ne connaissais
pas : la déchéance des droits civiques dès que lon
est incarcéré aux Etats-Unis. " Human Rights Watch,
une ligue de défense des droits de lhomme, a publié
le lendemain de lélection une étude rapportant que
lélément décisif de lélection
en Floride était l'exclusion du scrutin de 31 % des hommes
afro-américains, qui se trouvaient soit en prison soit parmi les
400 000 ex-délinquants déchus de leur droit de vote ".
Et comme les afro-américains votent habituellement majoritairement
démocrate
En fait, presque tous les états des Etats-Unis
refusent de reconnaître le droit de vote aux prisonniers et 14 états
interdisent de vote les délinquants criminels même après
quils ont expié leur peine.
Des bouquins hyper intéressants donc mais pas toujours donnés.
Je pense ici aux petits budgets qui pourront retrouver Chomsky sur le
net puisquil a déjà contribué des articles
au Monde Diplomatique. On pourra les retrouver dans leurs archives : www.monde-diplomatique.fr.
Par ailleurs, pratiquement tous les articles de Chomsky sont disponibles
sur www.zmag.org/chomsky/articles.cfm.
Ils concernent beaucoup de sujets divers et variés. En fait, Zmag
est un site dinformation et de réflexion indépendant
auquel contribuent pas mal dintellectuels critiques américains
et autres.
Voilà, jai été un peu long, mais cest
pour la bonne cause : je crois quil est clair que quelquun
comme Chomsky a un rôle de penseur de premier plan à jouer.
Car en plus dêtre critique, son message est positif et optimiste
: il croit en la capacité de réaction des gens. Et, du coup,
nous prouve que lon peut encore être utopiste de nos jours.
Bonne lecture et continuez à faire circuler linformation
!
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