Allez-vous me mentir?
Angus Andrew: Probablement à 75%
Julian Gross: Ce sera à toi de faire le tri. Tu es un ‘Positive Rage’ et nous sommes des ‘Negative Hippies’ alors disons qu’il y a déjà un mur qui nous sépare. (Rires)
Depuis combien de temps mentez-vous ?
A : Depuis très jeune, je crois. La plupart des gens ment donc je ne me sens pas coupable en te disant ça. C’est une chose banale. Je suis honnête en affirmant que je mens.
Vous préférez croire à un mensonge ou à la vérité ?
J : Ne crois personne ! (Rires)
A : Je préférerais croire en la vérité évidemment. Je n’aime pas qu’on me mente.
Retour au tout début. Comment l’aventure des LIARS a-t-elle commencé ?
A : Julian, Aaron (Hemphill) et moi-même étions dans une école d’arts à Los Angeles et nous avons commencé à jouer en 1999. Ensuite Aaron et moi avons emménagé à New York. Les LIARS sont nés là-bas. On avait écrit quelques chansons et nous voulions monter un groupe pour les jouer. Nous avons sorti notre premier album (‘They Threw Us All In A Trench And Stuck A Monument On Top’) en 2002. Pour notre deuxième album, Julian nous a rejoints.
A la sortie de ce premier album, vous vous êtes retrouvés à devoir porter l’étiquette de ‘the next big thing’. Comment avez-vous vécu cette sorte de pression ? On sait que certains groupes ne survivent pas vraiment face à l’étape suivante.
A : On a juste décidé de détruire cette idée de ‘the next big thing’. C’était la seule chose à faire. Ce premier album a constitué une vraie opportunité de nous exprimer. Ce n’était qu’un échantillon représentatif de toutes les choses qui nous intéressaient. Nous avions vraiment besoin d’aller dans une direction qui indiquerait toutes les idées que nous avions en tête.
Est-ce que les LIARS sont vraiment nés avec ‘They Were Wrong, So We Drowned’, votre deuxième album ?
A : Oui, c’est vraiment à partir de là que nous nous sommes rendus compte que nous avions la chance de faire les choses qui, à nos yeux, avaient une vraie signification. Avec le premier album, nous ne pensions pas que les gens allaient l’écouter. Et puis quand les SONIC YOUTH nous ont emmenés en tournée…wow, c’était comme si tout ça commençait vraiment. Mais cela dit, aucun album n’existe sans celui d’avant. Ce premier album était très important. Ce fut une étape pour aller plus loin.
En sortant ‘They Were Wrong, So We Drowned’, vous vouliez vous suicider commercialement parlant ?
A : J’étais en Australie à ce moment-là. Je me souviens très précisément des mots qu’Aaron m’a dit au téléphone : « nous allons faire couler le navire » (‘crash the ship’). Et je crois que c’est que nous avons plus ou moins fait.
Cet album est tellement plus personnel. Comme si vous créiez votre propre univers.
A : C’est vraiment cette idée que nous avions en tête. Ne plus simplement composer des chansons individuelles mais penser et créer un album comme une entité. Nous nous sommes alors tellement plus impliqués…
A l’époque vous étiez à fond dans les sorcières. Pourquoi ? Que cherchiez-vous à véhiculer ?
A : A l’époque, pour nous, les sorcières étaient un bon symbole. Nous étions intéressés par des choses sombres. En même temps la sorcière a une double signification. D’un côté, l’histoire nous montre que c’est un sujet sérieux. Des femmes ont été torturées et tuées. Et puis d’un autre côté, il y a tout l’aspect comique, amusant des sorcières à la période d’Halloween. Cette dualité entre l’aspect fun et sombre, c’était vraiment un thème parfait.
J : Le côté…femmes persécutées et de l’autre Le Pays d’Oz.
A : Ca nous a amenés vers le thème des livres pour enfants, les contes. Comment aborder des questions sérieuses avec espièglerie. Au bout du compte, ‘They Were Wrong, So We Drowned’ s’est avéré être un album ‘politique’. Cet album a été composé à l’époque de la première invasion américaine en Irak. La capture de Saddam Hussein dans son trou. Cette période si trouble avec George W. Bush à la barre. Il y avait cette idée de chasse aux sorcières. En 2004 nous ne cherchions pas à exposer nos idées politiques. C’était plus intéressant de prendre l’angle des livres pour enfants pour aborder des problèmes sérieux.
Qu’est-ce qui vous a amené à ce concept rythmique du troisième album, ‘Drum’s Not Dead’ ?
J : Nous avions emménagé à Berlin à cette époque. Nous avions déjà écrit les chansons de cet album lors de nos tournées et nous les jouions avec beaucoup de percussions. C’est parti de là. Je crois qu’à travers cette idée nous avons cherché à nous isoler en créant ‘un autre espace’.
A : Depuis le tout départ, la batterie est la base de nos chansons. Je ne suis pas un expert de la musique comme Julian mais la batterie fait appel à mon instinct tribal. Je crois qu’avec cet album nous avons voulu célébrer cette idée qui consiste à appréhender la musique par son côté très direct, très instinctif sans que cela ne fasse appel à une grande musicalité. Que tu frappes fort ou doucement, taper sur des peaux est au cœur même de l’Histoire de la musique. C’était le point de départ de ‘Drum’s Not Dead’. Comment comprendre ce qui nous attire dans la musique.
A : Je crois que tu fais référence à la façon dont ce disque a été accueilli. Beaucoup de réactions tournaient autour des titres des chansons, de ce soi-disant ‘concept’ plutôt que de se concentrer sur la musique en elle-même. C’était très frustrant et on a mal vécu cette période. On a interprété cet album comme un disque expérimental alors qu’il ne tendait pas vers ça. Ce contrecoup nous a incités à nous écarter de tout concept pour ne privilégier que la musique. Pour l’album suivant (‘Liars’), du titre jusqu’à la pochette on a tout réduit à l’essentiel. On a tout démonté pour qu’il ne reste que les chansons, la musique. Pour la première fois on a eu l’impression d’atteindre quelque chose. Tous ces aspects du rock’n’roll que nous avions sciemment évités se sont retrouvés sur cet album. On s’est dit que ce serait cool de faire une chanson qui sonne comme du LED ZEPPELIN parce que nous aimons ce groupe et il n’y a aucune raison de nier ça. Essayons de faire un morceau à la GUNS’N’ROSES. Sans doute que ce quatrième album était aussi une expérience en soi. Nous avons réalisé alors que ce qui fait un album des LIARS, et ce qui le rend intéressant, c’est sa propension à explorer un univers différent. Nous avons aussi pris conscience que c’est cool d’avoir plein d’idées comme base de travail mais que nous n’avions pas besoin de les divulguer autant. On n’a pas besoin de dire à l’auditeur « voilà exactement ce à quoi on pense » Même chose avec ‘Sisterworld’, nous voulions qu’il soit globalement compréhensible.
J : Pour chaque album, il y a cette idée de se foutre les jetons, d’être dans une position inconfortable. Avec notre album éponyme, c’était plutôt effrayant de faire un disque traditionnel alors qu’on n’a pas pour habitude de faire les choses de façon conventionnelle. On s’est dit « essayons de faire des chansons comme celles avec lesquelles on a grandi, essayons de faire une chanson à la NIRVANA. » A la fois d’être fun, cette situation n’était pas des plus tranquilles mais elle nous a obligés à nous dépasser sans vraiment nous soucier de que ça pouvait donner. Cette manière de fonctionner est très excitante.
A : Quand tu commences à être trop à l’aise dans ce que tu fais alors c’est le moment de tout mettre à la poubelle pour initier quelque chose de frais.
Dans quel état d’esprit avez-vous composé ‘Sisterworld’ ? Incorporer autant d’instruments, c’était un nouveau challenge ?
A : Nous avons mis six mois à faire ‘Liars’ et nous avons passé le double de temps pour ‘Sisterworld’. Là où dans le passé, on se serait dit « bon, ok, c’est bon pour cette chanson », ici, avec plus de temps et de confiance on s’est dit « tiens, ça donnerait quoi si l’on donnait cette mélodie à un joueur de basson ? » Ca demande je crois une certaine dose de confiance. Avoir du temps nous a aidés à essayer des trucs et puis en faisant cet album à Los Angeles nous avions les relations adéquates pour cette nouvelle expérience. Nous n’aurions pas pu faire ce disque à Berlin.
Vous avez habité pendant deux ans à Berlin. Qu’avez-vous appris de l’Europe ?
A : Venir à Berlin m’a aidé à m’isoler juste le temps nécessaire. Avec cette barrière de la langue, j’ai eu l’impression d’être ‘dans le vide’. J’ai été affecté par le poids des médias américains. Alors qu’il n’y avait rien de tout ça en Allemagne. Nous étions loin des journaux, des télés américaines et donc, automatiquement ça donne la possibilité de faire beaucoup de place dans ta tête. Se sentir détaché des choses comme quand tu es dans un train et que tu ne captes rien de ce que les gens disent autour de toi. Ce fut très positif pour être créatif. L’Europe m’a offert cette bouffée d’oxygène. Cela m’a permis de fuir toutes les attaques de la vie et politique américaines.
Quelles relations avez-vous avec votre label, Mute Records ?
A : C’est comme si nous étions mariés…pour le meilleur et jusqu’à ce que la mort nous sépare. Sans doute nous ne divorcerons jamais. Aucun autre label ne nous aurait permis de sortir ces albums et de faire ce que nous avons fait.
Chaque album se vend à combien ?
A : Je ne sais pas. C’est classé secret ! (Rires) C’est un aspect qui ne nous intéresse pas. Du moment que nous avons la possibilité de faire ce que l’on veut. C’est l’essentiel !
Est-ce qu’ils vous font entièrement confiance ?
A : Absolument ! C’est tout le courage de Daniel Miller (fondateur et boss de Mute) qu’il faut louer.
J : Quand nous avons livré ‘Drum’s Not Dead’, Dany s’est contenté de dire « ok, c’est vraiment bon, peut-être faudrait-il mettre un peu plus de voix ici et là. » Alors que toutes les autres personnes autour de nous trouvaient l’album vraiment bizarre. (Rires) C’est vraiment très agréable d’avoir cette liberté.
Ca vous contrarie quand on vous dit que votre musique est bizarre ?
A : Je t’aurais répondu oui à l’époque de ‘Drum’s Not Dead’ mais maintenant les gens ne trouvent plus vraiment que notre musique est bizarre. Avec les choses que j’ai récemment entendues sur nous, j’ai l’impression qu’on est un groupe de rock plutôt qu’un groupe expérimental. Dans ce sens, je te dirais qu’aujourd’hui nous sommes plutôt vexés de ne plus être considérés comme un groupe expérimental. (Rires)
J : C’est comme ça que ça marche, n’est-ce pas ?
Je pense que vous êtes toujours un groupe expérimental.
A : Oui, moi aussi.
D’où vous vient toute cette liberté créative ?
A : C’est un choix de vie. C’est aussi ce que tu es en tant que personne. C’est ce qui nous permet de dire « nous allons emménager à Berlin pendant quelques années et faire un album. » C’est prendre l’initiative de se battre pour des choses que tu as imaginées. Et les réaliser en plus. Toi et moi connaissons beaucoup de gens qui ont certainement grandi dans leur ville d’origine sans faire grand-chose de leur vie et ce malgré le fait qu’ils aient eu des rêves et des envies.
J : Nous avons beaucoup de chance d’être tous les trois et d’être tous ensemble sur la même longueur d’onde créative. Depuis notre rencontre dans cette école d’arts aucun de nous n’a jamais refusé, rechigné. Au contraire, tout le monde est toujours partant. On s’accorde la liberté dont chacun a besoin. Personne n’impose de restrictions à qui que ce soit.
Quels sont vos critères pour qu’une chanson soit bonne ?
A : Il n’y en a pas. C’est comme si tu demandais quels seraient les critères pour faire un beau tableau. Il ne devrait pas y avoir de critère pour ça.
J : Il y a peut-être à voir du côté de l’honnêteté d’un morceau.
Passer de trois à quatre membres, ce serait envisageable ?
A : Nous développons cette relation entre nous trois depuis si longtemps. Ca marche bien. Je ne crois pas qu’un quatrième membre soit nécessaire. Honnêtement, je crois que nous générons suffisamment d’idées comme ça. Si c’était pour apporter quelque chose côté live, côté production pourquoi pas…mais il n’y a pas besoin d’un cerveau supplémentaire. (Rires)
Ce sera quoi la prochaine étape pour le groupe ?
A : Eh bien tu prends ‘Sisterworld’ et tu imagines tout et son contraire pour la suite. (Rires)
Merci à Cécile, à Abir et à tous les Rockos !
photo du haut © kirstiecat