Un groupe de chercheurs a été envoyé par la Muy-Tang, une puissante multinationale, sur la planète Ona(ji) afin de mener une expérience qui pourrait bien modifier l’essence même de la vie de l’Humanité : libérer une substance, l’Aâma, sorte de soupe de pico-robots capables de s’auto-reproduire pour manipuler et transformer la matière à un niveau subatomique afin d’observer in-situ ses capacités sur une planète où la vie, justement, n’existe pas. 5 ans plus tard, la Muy-Tang estime que l’expérience est un échec et elle envoie un agent spécial, Conrad, secondé par un robot de guerre, Churchill, y mettre fin et, surtout, récupérer l’Aâma. Mais Conrad arrive trop tard. Le professeur Woland a quitté son équipe pour aller libérer la fameuse substance dans une zone marécageuse d’Ona(ji) depuis laquelle la vie a commencé à proliférer…Et depuis laquelle des robots, qui ont commencé à muter depuis qu’Aâma a pris leur contrôle, arrivent pour empêcher les intrus de l’approcher…
« Aâma » est la nouvelle grande série de Frederik Peeters dont la sortie du quatrième et dernier tome nous donne l’occasion de parler. Grande dans tous les sens du terme : parce qu’elle est de nouveau un superbe récit de science-fiction (pas étonnant d’ailleurs qu’ »Aâma » ait été récompensé du prix de la meilleure série à Angoulême 2013) et parce que l’auteur y fait montre d’une incroyable ambition artistique : il remonte ici ni plus ni moins qu’à l’origine de la vie ! En construisant son récit, comme il en a souvent l’habitude, autour de ses angoisses, de ses peurs, de ses questionnements personnels du moment (Verloc Nim, le frère de Conrad qui part avec lui sur Ona(ji) fait figure d’alter ego fictionnel). Et ici, on sent bien que ce qui a stimulé « Aâma », c’est son rôle de père et toutes les questions qu’il soulève (la responsabilité que l’on a vis-à-vis de son enfant, les choix éducatifs que l’on est amené à faire, l’influence de certains aspects de la société dont il faut les protéger ou non…). Certes, « Aâma » est une série d’anticipation (le genre dans lequel l’auteur est le plus à l’aise car il lui permet, notamment, de laisser libre cours à son imaginaire, avec ces créatures mutantes, ces inventions futuristes ou ces paysages délirants…) qui nous parle de manipulations génétiques, des dangers liés au progrès technologique s’il n’est pas encadré et d’autres travers de nos sociétés occidentales mais c’est surtout, et avant toute autre chose, un récit qui nous parle de relation père/enfant : de la magie d’être père mais aussi de l’angoisse et des doutes que cela engendre. Le (grand) talent de Peeters est de parvenir à mettre ce questionnement introspectif au service de son imagination pour en faire cette vaste et passionnante fresque spatio-existentielle toujours aussi superbement dessinée (avec un trait qui s‘est affiné au fil du temps) !
Du grand Art ! Assez exigeant avec le lecteur (l’histoire, avec ses digressions presque philosophiques parfois, n’est pas toujours facile à suivre) mais o’ combien enthousiasmant car il nous emmène sur des chemins rarement empruntés en bd jusqu’à lors !
(Série en 4 tomes – Gallimard)