ROMAN. Robin et sa famille viennent de faire l’acquisition d’Alfie, une intelligence artificielle domotique d’un genre nouveau : grâce à ses caméras, ses micros et ses fonctions qui lui permettent de se connecter à leurs portables, écouteurs, boîtes mail ou encore ordinateurs de bord, il va révolutionner leur quotidien : il va programmer la cuisson des repas, gérer le réveil de chacun des membres de la famille, répondre à leurs mails en analysant leurs anciens messages pour imiter leur façon d’écrire, commander les courses en épousant au plus près leurs besoins ou prendre rendez-vous auprès d’un médecin quand il détecte que leurs données de santé biométriques ne sont pas satisfaisantes. Grâce son module d’apprentissage DeepLearning, il va apprendre à les connaître pour adapter ses services à leur personnalité, goûts et humeurs. Et pour anticiper leurs moindres désirs : leur préparer un café serré comme Claire l’aime, passer une musique qu’ils apprécient pour les détendre ou réserver une chambre dans laquelle Robin a l’habitude d’aller avec Eve, la collègue qui est devenue sa maîtresse, quand il semble en avoir besoin…
Alfie est un drôle de livre. Dans tous les sens du terme. Il fait en effet souvent preuve d’un humour inspiré, notamment quand Alfie imite la façon de parler de chacun des membres de la famille ou qu’il tente d’analyser le fonctionnement (très complexe, même pour une I.A.…) des humains…Mais aussi parce que le récit est assez inclassable, du genre hybride. Roman policier 2.0 (pas étonnant que Zoé, l’aînée des deux enfants, doive étudier Le Meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie et son narrateur manipulateur pour son cours de français…) à la mécanique parfaitement huilée, récit d’anticipation soulignant les dangers du tout connecté et de l’intelligence artificielle (le slogan d’AlphaCorp, la société qui commercialise Alfie, “Alfie by AlphaCorp : vous ne serez plus jamais seul”, se révélera très glaçant) ou encore réflexion existentialiste sur ce qui fait la spécificité, et l’étrangeté…, de l’être humain : le livre, singulier, est tout cela à la fois. Comme le révèle d’ailleurs sa forme puisque Alfie mêle journal de bord de l’I.A., mails, relevés de compte, enregistrements de conversations ou encore SMS. Surtout, ce premier roman pour adultes (il a aussi écrit des livres pour la jeunesse sous le nom de plume de Nataël Trapp) que signe Christopher Bouix propose une écriture jubilatoire. Si Claire, professeur d’université, est spécialiste de Roland Barthes (rien n’est coïncidence dans ce livre…), l’auteur s’amuse quant à lui, souvent par l‘entremise d’Alfie, à créer un langage différent pour chacun des membres de la famille, ce qui donne quelques passages vraiment hilarants, notamment quand Alfie essaie de s’exprimer comme Zoé (“Meuf tu vas cartonner. Crari le mec il est trop en bail de ouf t’es grave sa crush t’inquiète trop la confiance”). Il fait aussi évoluer la façon de s’exprimer de l’I.A. à mesure qu’il acquiert davantage de connaissances langagières grâce à ses observations et à son module DeepLearning. Tout cela fait d’Alfie un récit particulièrement emballant !
(Roman, 464 pages – Au Diable Vauvert)