BD. C’est ce que l’on aime chez Futuropolis. Cette volonté, assez rare pour une maison d’éditions, de proposer des récits singuliers, tellement hors normes que l’on a du mal à les décrire. Parce qu’ils sont insaisissables et résistent donc à la catégorisation. Au Pied des étoiles est de ces livres. Au départ, il y a ce projet de José Olivares, professeur de physique à Grenoble, d’emmener des élèves, des dessinateurs et un réalisateur, au Chili, dans le désert d’Atacama, pour aller « voir les étoiles », les observer, les dessiner…Baudoin et Lepage, toujours prêts à se lancer dans de nouveaux défis, acceptent. Mais quelques mois plus tard, Emmanuel Lepage apprend qu’il a un cancer. Puis le Covid-19 fait son apparition. Les plans sont bousculés. Le voyage reporté. Quand il a finalement lieu, le Chili est en ébullition : ce sont les élections présidentielles et au deuxième tour le candidat de la gauche, Boric, se retrouve face à celui de l’extrême droite, Kast et le spectre de Pinochet et de sa dictature militaire refait son apparition. Le voyage, qui devait être astrophysique et poétique (les auteurs demandent aux chiliens qu’ils rencontrent ce qu’ils voient quand ils regardent les étoiles…), devient aussi politique. D’autant que José revient dans le pays que ses parents ont été obligés de quitter (son père avait été emprisonné et torturé par le régime de Pinochet) pour la France s’ils voulaient survivre…
En vérité, ce livre s’est construit à mesure que le projet avançait, au fil des reports, de la maladie à combattre, puis des différentes rencontres, des conversations et des lieux traversés. A quatre mains, dans un incessant chassé-croisé narratif et graphique, entre Baudoin (« celui qui danse », dont le dessin est très intuitif) et Lepage (« celui qui s’applique », dont le dessin est plus cérébral), certaines scènes mettant en images des rencontres, des événements (le soir de la victoire de Boric, par exemple) ou des conversations et d’autres évoquant les réflexions, quasi-philosophiques, que tout cela inspire aux auteurs. Un dialogue, très libre, que ce soit dans le fond ou la forme, entre Baudoin et Lepage mais aussi entre les auteurs et les autres participants au voyage, notamment les 3 élèves de José, qui aborde les thèmes de la création, de la maladie, du voyage (« je ne pourrai pas aller partout dans le monde, alors à quoi bon s’entêter », confie Baudoin à un moment), de la mort, de la vieillesse (« dans cette balançoire pour vieux je joue à être mort, témoin de la vie qui se continue au-delà de moi. C’est comme un exercice en avant de la fin du chemin, une mise en condition pour accepter l’inacceptable »), de la sexualité (Lepage confie à Emile qui a entamé une transition pour devenir homme qu’il est attiré par les femmes et les hommes à la fois), de l’amour, bref, de la vie en général mais aussi de celles des deux auteurs qui se dévoilent ici avec beaucoup de sincérité. Un beau récit, totalement hybride et inclassable, véritable ode à la vie et à la liberté d‘être heureux pour tous, hommes, femmes, Mapuches, transgenres, bisexuels…
(Récit complet, 265 pages – Futuropolis)