Abel Mérian. C’est le nom de l’homme qui vient de passer 7 ans en prison et qui s’apprête à prendre le RER pour aller récupérer le magot qu’il a caché dans une usine désaffectée avant de se faire serrer. Sauf que l’usine en question a été transformée en musée d’art moderne et le magot enseveli sous des milliers de mètres cubes de béton ! Assis en face d’un tableau de Magritte, Mérian est en train de se dire que la poisse le poursuit quand une sonnerie de portable oublié sous la banquette retentit. Au bout du fil, une très jolie voix, qui appartient à la propriétaire du téléphone, et qui lui demande gentiment s’il peut lui envoyer par La Poste à l’adresse, en Italie, qu’elle va lui indiquer dans un texto à suivre. Notre homme accepte bien sûr…avant de se raviser. Plutôt que de lui envoyer, il va lui rapporter lui-même. Il a bien envie de prendre l’air, de voir la mer et les oliviers transalpins. Et il entendrait bien cette jolie voix de nouveau…
C’est vrai qu’il débute un peu comme un conte de fée ce récit avec ce coup de pouce du destin qui donne l’impression au protagoniste que tout va changer : que les années de galère sont enfin derrière lui, que l’amour vient de lui faire signe et que le bonheur (et pourquoi pas la rédemption) est peut-être à portée de main. Ce serait oublier que le récit s’intitule “Au vent mauvais” : rien ne va se passer comme Mérian l’avait imaginé dans ce “road movie” graphique désenchanté au possible !
Une histoire finalement simple (un homme qui roule jusqu’en Italie pour rencontrer une femme) mais véritablement transcendée par la façon qu’ont les auteurs de la raconter. Une façon très singulière, qui nous avait déjà tant plu dans “Les larmes de l’assassin”, le précédent récit de Murat (même s’il a cette fois mis en images un scénario de Rascal). A commencer par cette narration à la première personne livrée sous forme de récitatifs entre les cases dans un style ici vif et percutant (avec quelques très belles idées –comme laisser des biscuits prendre en charge une scène du récit- pour éviter que l’ensemble ne soit trop monocorde) très inspirée de Rascal. Mais aussi, bien sûr, cette signature graphique (désormais véritable marque de fabrique du dessinateur, elle est reconnaissable entre 1000) particulière de Murat avec ce dessin sombre et épuré (le trait se concentre sur l’essentiel, du coup, les arrières plans sont quasi inexistants mais les grands aplats de noirs, nombreux, apportent de la profondeur, avec un jeu très intéressant sur les ombres) et ces couleurs (une par case) souvent ternes et tristes. Sans oublier le rythme lent qu’imprime le binôme au récit pour laisser beaucoup de place au lecteur ainsi que le travail très personnel de Murat (qui évite à tout prix la redondance avec les textes de Rascal) sur le rapport texte/image. Une singularité qui donne bien sûr tout son intérêt, et sa force aussi, à “Au vent mauvais”. Très bon récit !
(Récit complet – Futuropolis)