L’état
de la bande dessinée. Vive la crise ?
collectif
les impressions nouvelles
Le marché de la
bande dessinée est en constante progression depuis plus d’une
décennie. On n’a jamais sorti autant d’albums en France
qu’en 2008 : plus de 4000 ! Et les ventes suivent. Alors pourquoi
parler de crise ?
C’est la question à laquelle ce livre, qui rassemble en fait
les communications présentées lors de la troisième université
d’été de la bande dessinée, qui s’est tenue
du 30 Juin au 3 Juillet 2008 à Angoulême, se propose de répondre
en donnant la parole à des éditeurs (indépendants ou
travaillant pour de grosses maisons), libraires, auteurs ou spécialistes
du 9ème art. Car ces chiffres, a priori positifs, peuvent présenter
des réalités plus contrastées.
Des réalités économiques en premier lieu. Si l’on
peut se réjouir du développement de genres comme le roman graphique,
celui-ci reste encore très confidentiel par rapport à la vague
manga qui représentait 35 % des ventes de bd en nombre d’exemplaires
en 2007 et qui pèse de plus en plus sur l’économie mais
aussi sur la création de la bd en France. En effet, le rythme de parution
très élevé des mangas fait peser une pression nouvelle
sur les autres auteurs. De plus, son succès actuel a attiré
beaucoup de nouveaux éditeurs vers la bd, éditeurs qui participent
bien sûr à la surproduction actuelle. Une surproduction qui a
des conséquences directes : les libraires n’ont plus le
temps de lire tout ce qui sort et doivent faire des choix dans ce qu’ils
veulent vendre ; la visibilité moyenne d’un livre est désormais
réduite (elle est en moyenne de deux semaines alors qu’elle était
d’un mois il y a encore quelques années) et le public, un peu
perdu parmi toutes ces nouveautés, a tendance à se réfugier
sur ce qu’il considère être des valeurs sûres :
des grandes séries ou des auteurs connus. D’où une plus
grande difficulté pour les petites maisons d’éditions
pour faire connaître leurs œuvres. Surtout lorsque l’on sait,
comme le rappelle Beaujean (gérant d’une librairie et critique)
que 3 bd sur 4 se vendent en hypermarchés ou en grande surface culturelle
(type Fnac, Virgin...), endroits assez peu propices à la vente de livres
plus singuliers ou confidentiels.
Mais la surproduction a aussi des conséquences indirectes, plus fâcheuses
encore. Et c’est là que l’économique rejoint l’artistique.
Car comme le dit Gauthey, créateur des éditions Cornélius,
les grands publieurs ont tendance, dans la surproduction actuelle, à
“jouer la carte de la sécurité et à sortir ce qui
aura le plus tendance à marcher” (les reprises de séries
connues comme “Spirou” ou “Thorgal”, les adaptations
littéraires très en vogue en ce moment, le manga shojô
ou shonen à destination des ados…) au détriment de la
recherche de nouvelles voies artistiques. Pire, selon lui, on encourage les
nouveaux auteurs à imiter ce qui fonctionne déjà…Un
danger dont le jury du dernier festival d’Angoulême semble conscient
puisqu’ il a décidé de récompenser des œuvres
à la fois ambitieuses et singulières dont beaucoup sont sorties
chez des indés (“Pinocchio” chez les requins marteaux,
“Opération mort” chez Cornélius, “Le petit
Christian” chez L’Association).
Bref, vous l’avez compris, ce livre est vraiment passionnant en ce qu’il
donne l’opportunité au lecteur de voir la bande dessinée
d’une autre façon et de faire un lien entre le livre qu’il
achète et les enjeux plus complexes qui se cachent derrière
l’objet.
[sullivan]