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Griffu
Manchette/Tardi
casterman

Cette réédition tombe à pic. Originellement paru chez Casterman en 1977, "Griffu" est la première et seule vraie collaboration entre Tardi et Manchette. Car si "La position du tireur couché" (dont on reparlera bientôt) et "Le petit bleu de la côte ouest" (2 récits que Futuropolis vient de sortir ou ressortir) sont des adaptations de ses romans, "Griffu" avait, lui, été directement pensé et écrit pour la bande dessinée et Tardi par Patrick Manchette. C’est en quelque sorte l’acte fondateur du travail croisé entre les 2 hommes.
Un acte fondateur noir et violent dont les personnages ne sont que pourris et salauds. Qui est en fait l’histoire d’une manipulation. Quand une nana en jupe courte est venue proposer 250 sacs de l’époque à notre recouvreur de dettes pour récupérer des dossiers compromettant dans les bureaux d’une société de B.T.P., Morel frères, Griffu a accepté. Sans flairer l’arnaque. Ce n’est que quand il s’est retrouvé coincé dans les locaux de la dite société, après avoir livré les dossiers à la jeune femme sur un plateau, qu’il a compris qu’il s’était fait avoir en beauté. Et que les ennuis ne faisaient que commencer !
Magouilles immobilières, policiers ripoux, politiciens corrompus : dans la France véreuse des années 70, Manchette force finalement à peine le trait dans ce polar à l’ancienne au ton -son grand atout- très politiquement incorrect. Les immigrés maghrébins sont traités de "ratons", on s’envoie d’autres sympathiques civilités dans un argot parigot des plus fleuri, on se balance des bourre-pif à qui mieux mieux et l’on dézingue à tout va. Dans "Griffu", la société est pourrie jusqu’à l’os. Son héros y compris. Affublé d’un nom pas vraiment positivement connoté, il est surtout guidé par l’appât du gain. Et s’il décide de tirer l’affaire au clair, c’est plus parce qu’il l’a mauvaise de s’être fait rouler dans la farine que par idéal de justice.
Un récit âpre et désenchanté jusqu’au bout du crayon de Tardi dont le trait brut de fonderie, évidemment très approprié, met le tout parfaitement en images.
[sullivan]