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Renée
Debeurme
futuropolis

Arthur est en prison. Condamné pour l'assassinat d'un italien qui avait essayé de violer Lucille, il essaie de supporter tant bien que mal l'absence de celle qu'il aime, l'enfermement, la violence des détenus et les horreurs qu'ils ont commises, comme les actes de pédophilie de Denis, qui vient d'arriver dans sa cellule, sur ses propres enfants…Lucille a dû, quant à elle, repartir chez sa mère. Elle a repris du poids mais ses troubles anorexiques rôdent toujours. Notamment quand le vide, celui provoqué par l'emprisonnement d'Arthur mais aussi celui laissé par son père quand il les a abandonnées, elle et sa mère, alors qu'elle n'était encore qu'une petite fille, devient trop important. Et il y a Renée, jeune femme incapable d'être heureuse qui se fait des entailles sur les mains ou les bras lorsqu'elle connaît déceptions amoureuses ou frustrations. Un personnage dont on apprendra graduellement comment il est lié à Arthur et Lucille…
5 ans après le magnifique "Lucille", Ludovic Debeurme a réussi la gageure de faire encore mieux avec "Renée". Dans ce récit une nouvelle fois bouleversant et tragique (il traite de suicide, de pédophilie, de meurtre et du combat ordinaire en général, cher à Larcenet), l'auteur tente de comprendre le mal-être de ses personnages et essaie de saisir ce qui peut expliquer toutes ces violences, faites contre son propre corps (les scarifications de Renée, l'anorexie de Lucille, les coups de poing que Pierre se portent à lui-même) ou celui des autres (la fureur d'Arthur que l'on sent prête à jaillir de nouveau). Voilà pourquoi Debeurme choisit des récits fleuves : il a besoin de cet espace (celui-ci fait plus de 400 pages), de cette liberté (ce n'est pas un hasard si ses dessins ne sont pas enfermés dans des cases) pour être juste, vrai. Il peut ainsi prendre le temps de revenir sur le passé de ses personnages, d'ausculter leurs manies, leurs fragilités, leurs ambiguïtés, et les suivre dans leur quotidien, lorsqu'ils sont amenés à avoir des relations avec les autres, pour les cerner au plus près, eux et leurs âmes torturées. Et cela fonctionne admirablement bien.
D'autant mieux que l'auteur, ici au sommet de son art, a fait évoluer son style graphique, désormais assez proche de celui d'un Daniel Clowes. Son dessin (en noir et blanc) est désormais plus approfondi, plus fin, plus précis et aboutit à des portraits époustouflants de vérité. La narration aussi a été perfectionnée : si "Lucille" était très linéaire, Debeurme a cette fois davantage complexifié la construction de "Renée", mêlant différents niveaux de réalité (images issues de cauchemars, de la vraie vie ou de fantasmes) et histoires des 3 personnages, qui paraissent d'abord indépendantes avant de progressivement se rejoindre.
Impressionnant de justesse, de sensibilité et de maîtrise, "Renée" est un récit rare, à la fois novateur et puissant. Un chef-d'œuvre, tout bonnement.
[sullivan]