BD. Livre après livre, Mathieu Bablet continue d’étonner, construisant patiemment une Œuvre remarquable d’intelligence et d’ambition. Si Shangri La (l’éditeur annonce 107 000 exemplaires vendus!) avait déjà placé la barre haut, Carbone et Silicium tutoie les mêmes sommets d’inspiration. Avec un récit une nouvelle fois fleuve (272 pages) car l’auteur a besoin de ce format pour installer son univers et cerner la psychologie de ses personnages. Qui conte une histoire d’Amour, platonique, entre deux androïdes créés à partir d’une même entité par le professeur Noriko des laboratoires Tomorrow Foundation. Des Intelligences Artificielles fortes (leur connexion au réseau internet leur a donné accès à des milliards de données en même temps qu’à une très haute compréhension du monde) qui vont se battre pour être libres et se retrouver, cycle après cycle (on n’en dit pas plus…), malgré les différentes séparations auxquelles ils devront faire face et, surtout, malgré leur condition. Car ils ont été fabriqués, à la base, pour prendre soin des vieux humains pendant une période de 15 ans ! C’est en effet la date d’existence que les concepteurs ont décidé de leur assigner…
Des androïdes aux émotions et aux comportements très humains qui veulent aussi repousser les limites que leurs créateurs leur ont imposé et sortir de leur condition. Car comment accepter de ne vivre que 15 ans alors que son corps n’a même pas encore commencé à montrer la moindre trace d’usure ou se contenter de s’occuper de vieux humains séniles alors que l’on peut voyager et découvrir le monde? Carbone et Silicium, c’est de la science-fiction existentielle. Qui a un souffle romanesque fou et propose une nouvelle fois quelques scènes incroyablement fortes, comme celle de Noriko sur son lit de mort, le corps qui n’a plus de corps que le nom ou quand Carbone revient avec un corps bricolé revoir Silicium juste avant qu’elle et ses “apôtres” ne se dissolvent dans le réseau, devenant immortels. Pas étonnant que le corps (contre l’esprit) soit présent dans les 2 scènes citées puisqu’il fait partie des thématiques abordées par Bablet. Il est notre plus précieux trésor que Carbone s’évertue à protéger et à réparer contre les outrages du temps qui passe pour continuer de voir et ressentir la beauté du monde qui nous entoure. Quelle belle ironie d’ailleurs que ce soit à un robot que Bablet ait donné ce rôle car dans le même temps les humains ne font, quant à eux, que le détruire…
Un récit tout simplement beau. Mélancolique aussi (Bablet déroule sous nos yeux, sur 271 ans, la lente et inexorable agonie de notre planète), porté par le travail graphique puissant (les portraits pleines pages de Silicium qui ouvrent chaque partie sont magnifiques) de Bablet, très personnel, aussi bien influencé par le manga que la BD franco-belge. Une jolie ode à la vie et à la beauté du monde qui nous entoure. En même temps qu’un cri de colère contre ceux qui le détruisent en toute connaissance de cause. Du grand Art!
(Récit complet, 272 pages – Ankama)