Le canari que la mère de louis lui avait offert est mort. Mais il continue de veiller sur l’enfant en lui parlant, en le rassurant et en le guidant dans sa vie. Cette fois, il l’accompagne dans une plongée dans son inconscient jusqu’à un monde où tout n’est que cendres et désolation : celui du génocide cambodgien. Là il va enfin avoir les réponses aux questions qu’il se pose depuis si longtemps : quelles sont ses origines, pourquoi son père n’est pas rentré avec lui et sa mère en France et ce qui l’a ensuite empêché de les rejoindre…
Si Louis se sentait aussi mal dans sa peau (incapable de communiquer avec les autres enfants, s’inventant une autre vie), c’est bien parce qu’il y avait trop de trous béants dans l’histoire de sa famille. Des trous béants (qui sont symboliquement matérialisés dans le sol de la chambre de Louis) apparus à cause du non-dit car sa mère n’avait jamais voulu, certainement pour le protéger, lui raconter son passé et lui parler de son père. Tout comme les autorités cambodgiennes, qui, pour favoriser la réconciliation nationale après le génocide, n’ont fait quasiment aucun procès et ont banni le génocide de l’enseignement scolaire pendant près de 30 ans. A tel point que les nouvelles générations ne savaient pas qui était Pol Pot…
A l’instar du réalisateur Rithy Panh (à qui l’on doit les indispensables documentaires « S21 » ou « Duch, le maître des forges de l’enfer »), des artistes cambodgiens ont décidé de rattraper le temps perdu et de s’atteler à ce travail de mémoire nécessaire qui n’avait pas encore été fait, pour transmettre l’héritage du pays et libérer la parole. Celui de Loo Hui Phang est en tous points remarquables. Avec ce récit à hauteur d’enfant nous faisant partager sa souffrance, son besoin de savoir et ses troubles psychologiques, elle livre une œuvre vraiment marquante sur les conséquences du non-dit et du manque de transmission entre générations. Mais pas seulement car en ajoutant les regards de Samnang et Yong, la scénariste évoque aussi, à travers le travail graphique magnifique de Sterckeman (un trait fin et sensible coloré de noir, gris et blanc), les autres aspects du génocide : la difficulté de refaire sa vie pour les survivants qui ont quitté le pays et surtout l’enfer vécu par ceux qui se sont retrouvés pris au piège Khmer rouge. Pour que personne n’oublie, plus jamais, ce qui s’est passé. Et pour rendre hommage aux membres de sa famille qui n’ont pas survécu. Clairement l’un des meilleurs romans graphiques de l’année.
(Diptyque – Futuropolis)