BD. On l’a dit dans ces colonnes récemment : Casterman, en cette rentrée, a mis les petits plats dans les grands pour rendre hommage à Didier Comès : tous ses romans graphiques ont ainsi été compilés dans 3 ouvrages. Et l’éditeur a même sorti un beau livre, intitulé Comès, d’Ombre et de Silence, dans lequel Thierry Bellefroid revient sur l’œuvre de l’auteur belge pour l’analyser et en proposer des clés de lecture. Mais pour l’heure, penchons-nous sur les débuts de la carrière de Comès avec ces romans noir et blanc parus entre 1976 et 1984. Une compilation qui commence comme son jumeau (qui se focalise, rappelons-le, sur la période 1987-2006) se terminait : par la guerre. Dont Comès souligne ici, avec ironie, l’absurdité. Dans L’Ombre du corbeau, les généraux croient pouvoir, grâce à leur stratégie, influer sur le sort des événements ; ils ne savent pas qu’ils ne sont en réalité que des marionnettes dont les fils sont tirés par des forces supérieures qui les dépassent. Ainsi, chaque soir, le sort des combats du lendemain se joue lors d’une partie d’échecs opposant…2 corbeaux. C’est ce que découvre Goetz, soldat allemand qui a miraculeusement survécu à un bombardement…Puis vient Silence, qui est considéré comme le chef d’œuvre de Comès, celui qui lui a valu l’Alfred du meilleur album à Angoulême 1981. Et on comprend pourquoi : parue dans le mensuel (A Suivre) entre février et octobre 1979 avant de sortir en album, l’histoire de cet homme muet, à l’esprit d’enfant, victime de la bêtise et de la méchanceté des gens « normaux », frappe les esprits. Comès y montre une nouvelle fois beaucoup d’humanité et y fustige l’intolérance qui régnait à l’époque, ajoutant à son intrigue, comme souvent, une bonne louche de sorcellerie. Côté graphique, son noir et blanc continue de se mettre en place ; le trait se précise, se faisant, par endroits, plus épais. Moins connu que Silence, Eva est pourtant certainement, à nos yeux en tout cas, le meilleur récit de Comès. Le plus marquant. Probablement parce qu’en prenant, pour une fois, ses distances avec le fantastique rural, il est plus réaliste. Et le scénario de ce thriller psychologique est tout simplement génial et surprend jusqu’au bout. L’auteur y explore une autre folie : la schizophrénie,Yves, fou de chagrin à la mort de sa sœur jumelle Eva, ayant progressivement intégré sa personnalité pour ne plus faire qu’un avec elle. Flippant, d’autant qu’Yves fabrique aussi des automates à qui il donne la vie en leur prêtant sa voix car il est ventriloque…Autant dire que par moments on ne sait plus qui est qui. Neige, que le « couple » héberge le temps que sa voiture soit réparée, non plus d’ailleurs. Le noir et blanc glacé de Comès est ici idéalement inquiétant. Enfin, le dernier récit est La Belette, du « classique » Comès : campagne angoissante, non-dits, vengeance, poupée d’envoûtement, ancienne religion (avec Démeter la déesse mère), habitants étranges (et voyeurs…), esprits, sorcellerie et dans le rôle de celui qui est différent, « anormal » aux yeux des autres (« débile » et « légume » sont même employés par ses parents), non pas un mais deux personnages : un adolescent autiste et un grand garçon mentalement retardé pour une critique mordante de la télévision (« la nouvelle religion ») et de l’église ! L’histoire se passant, bien entendu, dans les Ardennes, le décor fétiche de Comès. Sans oublier les 3 récits courts, dont des hommages à John Lennon et Hergé. Le tout étant proposé dans une très belle édition, avec un papier de qualité, épais, qui met vraiment en valeur le superbe travail graphique, en noir et blanc, de Comès. Incontournable !
(Compilation, 448 pages – Casterman)