Frank Kitchen est un tueur à gages. Du genre très demandé. Rigoureux, propre, discret : il ne manque pas de contrats à honorer. Après avoir dessoudé un gars à Miami, il est cette fois à San Francisco pour travailler pour Gleason, un mec pour qui il a déjà bossé. Cette fois, il lui propose 50 000 dollars (le double de son tarif habituel) pour faire disparaître un certain Robert Chow, qu’il a aidé, formé et qui menace maintenant de lui piquer son business. C’est en tout cas ce dont son esprit très confus se souvient. Car tout cela date d’il y a quelques mois. Entre temps, Frank est sorti d’un long sommeil et s’est réveillé bandé comme une momie, son pénis en moins, et une paire de seins en plus…
Ce que l’on a toujours aimé avec Matz, c’est sa capacité à insuffler de l’originalité dans le genre très balisé et emprunté qu’est le polar. Déjà avec son excellente série Le tueur il proposait un « héros » très atypique en la personne d’un tueur à gages totalement cynique et (souvent) philosophe à ses heures. Il récidive avec ce Corps et âme pour lequel il a réuni la même équipe (il est épaulé par Hill au scénario et Jef s’est chargé du dessin) qui avait commis Balles perdues. Car si avec ce nouveau récit on est bien dans un polar (puisqu’il est question d’un tueur à gages, de contrats à honorer et de vengeance) sombre et très violent (ça dézingue à qui mieux-mieux), les 2 scénaristes nous ont réservé quelques surprises bienvenues dans leur histoire. A commencer par la nature de la vengeance dont Frank Kitchen (dont le nom semble trop proche de Frankenstein pour n’être qu’une coïncidence…) est victime. Transformer un tueur cynique, froid et macho en femme : l’idée nous plait bien ! Et Matz et Hill ne pouvaient en tout cas pas faire mieux pour mettre leur protagoniste sur le chemin d’une étonnante rédemption. Et si l’on ajoute que l’intrigue est jalonnée de quelques autres rebondissements assez inattendus, on comprend aisément pourquoi (en plus de son édition très soignée) Corps et âme se distingue clairement des autres polars. D’autant que le dessin de Jef est à l’avenant avec son trait inquiétant totalement raccord avec le scénario. De nouveau du très bon Matz donc.
(Récit complet – Rue de Sèvres)