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DE METTER NOUS PARLE DE PERSONNE

Chose promise chose due ! Nous vous l’annoncions dans la chronique du tome 3 de NObody… eh bien, la voici l’interview de Christian De Metter ! L’auteur de l’excellente adaptation de Shutter Island de Lehane, du western marquant Rouge comme la neige ou encore d’Au revoir là-haut, nous parle ici de son travail graphique (il est revenu au stylo il y a 4-5 ans, pour Rouge come la neige), de ses thèmes de prédilection, du doute qui l’envahit parfois et, bien entendu, de sa nouvelle série bluffante, aussi efficace que les meilleures séries tv américaines, j’ai nommé NObody (NDR : “personne” ou “pas de corps” en anglais. Ben oui, le titre, c’était pour ça…). Un entretien agrémenté d’un dessin (Nobody jeune) réalisé spécialement pour Positiverage par De Metter (que l’on remercie vivement pour sa gentillesse et sa disponibilité) et de cases inédites extraites du tome 4 de NObody à paraître au printemps 2018 !

 

Avant de parler de NObody, votre série actuelle, pourriez-vous nous dire quelques mots de Rouge comme la neige, western sorti en 2014 que l’on a beaucoup apprécié. Qu’aviez-vous envie de mettre dans ce récit ?

C’était d’abord l’envie d’être dans un univers western mais je ne voulais surtout pas me retrouver avec les thématiques habituelles du western. Je parle du thème de la vengeance, assez récurrent, qui m’a toujours agacé. C’est en grande partie pour cette raison que j’ai longtemps détesté les westerns. Je voulais donc trouver un moyen de retourner cette situation en mettant mon personnage dans l’obligation de sauver la personne qu’elle souhaiterait voir pendue au bout d’une corde. C’est devenu le point de départ de cette histoire.

 

On y trouve notamment un côté politique avec le massacre de Wounded Knee et la volonté aussi de casser les codes du western avec une femme comme protagoniste principal…

En fait, je travaille toujours sur tout un tas de scénarii potentiels et parmi eux il y en avait un dans lequel je voulais aborder la condition des indiens d’Amérique à travers la révolte de Wounded Knee, celle de 1973 et particulièrement à travers la remise de l’oscar à Marlon Brando pour Le parrain, où il a demandé à Sacheen Littlefeather, une jeune comédienne indienne, de venir refuser à sa place l’oscar et parler du traitement des indiens dans le cinéma américain. Dans les coulisses, John Wayne était fou de rage et retenu par deux gardes de la sécurité pour l’empêcher de rentrer sur scène. Comme d’habitude dans mon processus d’écriture, ce sont deux projets qui se sont télescopés pour n’en faire qu’un. L’envie de faire un western m’a finalement amené à aborder Wounded Knee mais par le drame de 1890. Je me suis rendu compte que cet événement est qualifié de « bataille » aux Etats-Unis alors que c’est clairement un massacre. C’est aussi là qu’est née mon envie de travailler encore et toujours sur l’identité mais aussi sur la notion tout aussi compliquée de « vérité ». Je me suis rendu compte que souvent j’associais ces deux notions sans m’en rendre compte, identité et vérité.

 

Graphiquement parlant, Rouge comme la neige a marqué une rupture avec vos récits précédents puisque vous avez pour l’occasion mis de côté les pinceaux pour revenir aux crayons. Vous aviez besoin d’un nouveau défi ? De vous mettre un peu en danger ?

C’est effectivement un moment où j’ai ressenti le besoin de me mettre dans une sorte d’inconfort. Jusque-là, je travaillais essentiellement en couleur direct, au pinceau. J’avais pris l’habitude de faire un rapide crayonné et d’immédiatement construire mon image par l’accumulation et la superposition de tâches. Ainsi, je récupérais l’approximation du crayonné. J’ai voulu alors me contraindre à une technique différente que finalement je n’utilisais plus depuis longtemps, la mine d’un stylo à bille. J’étais donc obligé d’être plus concentré dès le début de la mise en place de chaque case. Par ailleurs cela me permettait d’avoir un aspect un peu gravure évoquant un peu les vieux illustrés ainsi que, de par la mise en couleurs sépia, les photos d’Edward S. Curtis. De fait, il me semblait que dès la première page on savait dans quel univers et à quelle époque on se situait.

 

Quels sont les avantages et les inconvénients de ces 2 techniques graphiques ?

Je ne vois pas d’avantages ou d’inconvénients avec une technique. Je la choisis pour coller au mieux à l’histoire que je vais raconter. Que j’utilise un pinceau ou un stylo, au final cela reste ma bidouille.

 

 

Pour NObody vous avez décidé de rester dans la même lignée graphique. Pour quelles raisons ?

Dans NObody je raconte la vérité d’un homme. Il va raconter son histoire depuis ses 20 ans jusqu’à l’âge qu’il a au moment où il raconte tout cela, soit plus de 60 ans. Je devais donc jouer sur les époques, les ambiances et la vérité relative de ce qu’il raconte. La peinture associée au crayon me permettait de jouer sur tout cela, d’avoir des ambiances et des précisions différentes tout en restant assez cohérent sur 4 albums.

 

Pouvez-vous nous parler de votre mise en couleur également ?

Je fais mon dessin sur tablette graphique à présent ainsi qu’une rapide mise en couleur ou je pose l’ambiance et les quelques couleurs qui reviennent régulièrement. J’imprime la page en couleur et je travaille dessus à l’encre et à l’acrylique. Avant, je faisais cette mise en couleur de base à la peinture et c’était plus long et parfois assez fastidieux pour retrouver la couleur d’un vêtement, d’un décor ou d’un autre détail revenant 10 pages plus loin.

 

A l’origine d’une série, il y a souvent une envie de parler de quelque chose, un thème que l’on veut aborder. Quelle envie y avait-il pour NObody ?

J’avais envie de creuser la notion de vérité que j’avais abordé dans Rouge comme la neige. La vérité d’un homme en parallèle avec les « vérités historiques ». Je me suis rendu compte que parfois au détour d’une conversation lorsque j’évoque COINTELPRO on me fait passer pour un conspirationniste alors que c’est simplement un fait historique. J’ai vu récemment que certaines séries comme Aquarius ou Mindhunter évoquent également ce programme du FBI qui n’était autre que du contre-espionnage visant à infiltrer les organisations jugées dissidentes par l’état. Tous les pays le font. Les Etats-Unis ont moins de soucis pour regarder leur passé qu’en France où ces faits sont au mieux méconnus ou automatiquement jugés comme « douteux », sans parler du passé de la France lui-même. Je me pose donc la question de « vérité » au sein de nos démocraties.

 

Vous expliquez avoir voulu vous inspirer des séries tv américaines pour réaliser une série au long cours, structurée en plusieurs saisons. Quelles séries vous ont particulièrement inspiré ? Et qu’est-ce qui vous a marqué dans leur fonctionnement ?

J’ai principalement réalisé des « one shots » jusqu’à aujourd’hui et j’étais arrivé à 160 pages avec Au revoir là-haut. J’avais besoin de plus de place encore pour raconter mes histoires. Je voulais trouver un cadre qui me permette de raconter des histoires plus longues, de creuser plus en profondeur la psychologie de mes personnages et d’avoir des possibilités d’écritures différentes. L’idée de la série était intéressante mais je connaissais surtout en bande dessinée les séries au long cours, ce qui ne m’attirait pas du tout. J’ai besoin de contraintes et de liberté dans mon travail. J’ai trouvé dans les séries anglo-saxonnes d’anthologie comme Fargo et True detective cette contrainte avec une thématique récurrente, liée au titre de la série en ce qui concerne NObody, et la liberté d’aller de saison en saison visiter d’autres lieux, d’autres époques, d’autres personnages, d’autres univers, etc. Le format de série en quatre albums offre beaucoup de possibilités d’écritures que ce soit au niveau du rythme, au niveau du point de vue, au niveau de la structure même de l’histoire. Bref, c’était ce qu’il me fallait.

 

 

En tout cas, on retrouve dans NObody l’efficacité de ces séries tv américaines, avec, notamment, ces fins d’épisodes toujours très fortes, qui tiennent particulièrement en haleine…

Cela fait partie de ces possibilités d’écriture que ce format offre. J’ai fait attention dans le tome un de rassurer le lecteur en lui offrant une première partie de l’histoire relativement bouclée et sans cliffhanger (fin ouverte). Les deux tomes suivants, je pouvais me le permettre et j’en ai profité. C’est vrai que cela fait partie des petites choses que j’aime dans les séries, quand c’est bien fait. Je me le suis permis aussi parce que chaque tome de NObody sort tous les six mois. S’il y avait eu un an entre chaque je n’aurais peut-être pas utilisé cette technique.

 

Le concept de la série, avec ces différents retours en arrière dans la vie de NObody, vous permet également de vous faire plaisir, en abordant des chapitres clés de l’histoire américaine (la lutte pour les droits civiques des afro-américains, le Vietnam, la mort de JFK) …

La construction de ce personnage a été passionnante à élaborer. C’est d’abord un jeune homme qui va travailler malgré lui pour le FBI en tant qu’agent infiltré et qui va devoir construire des identités pour ses missions alors que lui-même n’a pas encore une identité très construite. Et ses fausses identités sont gravées sur son corps car pour infiltrer certains milieux comme celui des bikers il va se faire des tatouages. Ses mensonges sont gravés sur lui en quelques sorte. Le mensonge va faire partie de sa vie, de son fonctionnement. De plus il connait tous les « mensonges d’état », en tout cas suffisamment pour douter du bien-fondé de sa mission au sein du FBI. Il agit souvent comme ceux qu’il combat et se demande vraiment s’il y a un bon et un mauvais côté. Un type pas mal parano en quête de vérité… Bref, c’est un homme qui cherche la lumière et que j’ai adoré accompagner à travers toutes ces époques.

 

Il y a aussi l’idée, au cœur véritablement de la série, que l’on ne sait jamais qui sont vraiment les gens…

Comme dans la vie. On comprend parfois certaines personnes bien plus tard, quand on apprend un fait qui nous éclaire sur leur personnalité, leurs agissements. Je n’aime pas tellement les personnages trop simples. Chez moi il y a rarement des méchants face à des gentils. Mes personnages sont tous dans un gris plus ou moins foncé, plus ou moins clair.

 

La série n’est-elle pas finalement surtout l’histoire d’un homme maudit ? Chaque femme dont il tombe amoureux meurt assassinée. Et, du coup, il ne parvient pas à construire quelque chose, ni à se construire…

Son drame est de perdre des gens et de ne jamais avoir de corps pour attester en quelque sorte de leur mort. Ils disparaissent dans des incendies, des explosions d’hélicoptères. Il ne fait jamais le deuil de ces personnes et effectivement il se sent maudit, d’où son côté un peu mystique.

 

Un personnage qui s’appelle Perkins et qui rappelle forcément Psychose (NDR : l’acteur principal est Anthony Perkins) d’Hitchock, la psychologue qui rend visite en prison à Nobody pour découvrir qui il est vraiment qui fait penser au Silence des agneaux… : vous vous êtes amusés à glisser quelques clins d’œil au film noir et au thriller. C’est un genre que vous appréciez particulièrement ? Quels sont vos films préférés dans le genre ?

Je ne me souviens plus si je l’ai appelé Perkins en clin d’oeil à Psychose d’Hitchcock mais c’est fort possible. Par contre Le silence des agneaux n’était pas spécialement présent dans mon esprit même si j’avais beaucoup aimé le livre puis le film. En fait, je pense longtemps à mes scénars, parfois plusieurs années, et un jour ils naissent dans un demi-sommeil où je vois le film se dérouler sous mes yeux. Savoir de quoi il a été nourri est donc assez compliqué. Plein de livres, de films, de séries, de musiques parfois sont passés dans le processus. Une fois que je le vois je suis comme un gamin qui joue et qui ne veut pas venir manger. Je ne veux pas dire que je n’ai pas de références mais que j’ai souvent oublié lesquelles, sauf celles auxquelles je fais clairement allusion mais celles-ci arrivent souvent en cours d’exécution, et sont dans les détails. Le nom Perkins fait clairement partie de cette catégorie mais franchement je ne me souviens plus. Quant au film noir, c’est effectivement un univers qui me plait beaucoup mais plus dans les séries actuelles qu’au cinéma finalement. Mais Chien enragé et Entre le ciel et l’enfer de Kurosawa sont pour moi des films extraordinaires. Sinon, j’aime beaucoup l’univers des frère Cohen et j’aimerais être capable de mettre plus d’humour dans mon travail. Eternel Sunshine of a Spotless Mind de Gondry, Marlon Brando, j’adore.

 

Connaissez-vous la série française Le bureau des légendes ? Vous a-t-elle inspiré aussi pour l’écriture de NObody ? Cette série montre très bien, comme NObody d’ailleurs, notamment dans le tome 2, le danger qui guette les espions infiltrés : le fait de se sentir tout puissant et de mélanger, au bout d’un moment, vraie identité et légende…C’est un thème que vous aviez envie d’aborder ?

Je n’ai pas vu Le bureau des légendes mais on m’en parle souvent. Je ne vais donc pas tarder à acheter les DVD. En fait, je n’ai pas regardé de séries ni de films, très peu en tout cas, pendant des années. J’ai donc un retard énorme à rattraper. Je n’ai toujours pas vu Les Sopranos ni Six Feet Under et je n’ai vu The Wire, dont j’avais pourtant acheté tous les DVD, qu’il n’y a 2 ou 3 ans. Mais le thème de l’identité étant omniprésent dans mon travail il est évident que les personnages qui doivent composer avec plusieurs d’entre elles m’attirent fortement.

 

 

En tout cas, NObody a dû demander un gros travail de recherche en amont pour que tout soit crédible au sujet des Hell’s Angels, du Cointelpro ou de l’assassinat de Kennedy….

J’adore ça. Faire des recherches, lire un tas de livres, même des bien chiants parfois, pour glaner une ou deux infos, est un truc qui me plait beaucoup. Et souvent je me rends compte que la fiction est dépassée par la réalité. Par exemple, je voulais que mon personnage infiltre les bikers sans savoir si cela avait été fait ou envisagé à l’époque où je situais cette action, soit les années 70. En fait, c’est comme ça que j’ai découvert le BET (Biker Enforcement Team). C’est après avoir écrit le scénario du tome 2 que j’ai trouvé des infos à propos de ce « plan » pour se débarrasser des Hell’s Angels et où j’ai découvert un personnage réel validant en quelques sorte mon personnage fictif.

 

Henry, le coéquipier de Nobody, fan de La divine comédie de Dante, Nobody qui se fait tatouer Inferno, l’enfer dont Dante parle dans le livre, sur le bras, la psy qui s’appelle Beatriz, nom très proche de Beatrix, la muse qui guide Dante jusqu’au paradis terrestre. Les clins d’œil à cette œuvre sont nombreux dans le récit…

L’histoire de ce personnage est l’histoire d’une descente aux enfers, d’une période de purgatoire et d’une quête de… disons libération. La divine comédie de Dante semblait évidente pour accompagner mon histoire. En tout cas, mon personnage en a pleinement conscience.

 

Saura-t-on qui est vraiment Nobody à la fin de cette saison 1 ou faudra-t-il encore patienter ?

La saison une se finit au tome quatre, toute l’histoire sera bouclée et le puzzle reconstitué.

 

Savez-vous déjà s’il y aura une saison 2 ? Si oui, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

J’ai du matériel pour au moins cinq ou six saisons dans des lieux, époques et univers très différents parfois. Est-ce qu’elles se feront ? Je le souhaite vivement mais je n’ai pas toutes les cartes en main. D’abord avoir des idées même très avancées cela ne veut pas forcément dire que j’arriverai à pondre les scénarii. La deux est pas mal avancée et structurée. La trois également. Mais peut-être que demain j’aurais une idée plus intéressante qui passera devant. J’ai également d’autres histoires, pas pour NObody mais que j’aimerais faire aussi dont une très compliquée à mettre en place. Pour être franc, j’ai dessiné 3 bandes dessinées cette année et j’ai besoin d’un petit break pour réfléchir, écrire, peindre, faire de la musique, respirer un peu. Je suis comme beaucoup d’auteurs aujourd’hui qui s’inquiètent de l’évolution des conditions de notre métier.

 

J’ai vu une interview récente (elle a un peu plus d’un an) dans laquelle vous dites lire peu de bandes dessinées. Est-ce par choix (pour ne pas être influencé par le travail de vos collègues) ou par manque de temps ?

Les deux mon capitaine. Je m’inspire peu de mon propre médium aujourd’hui. Je l’ai fait quand j’avais 18/20 ans avec la bande dessinée anglo-saxonne (George Pratt, Bill Sienkiewicz, Kent Williams, etc) qui m’a montré le chemin à prendre, c’était l’école avec laquelle j’avais le plus d’affinités. Plus je vieillis, plus le doute m’envahit. Quand je vois le travail des autres, et il y a énormément de gros talents en bande dessinée aujourd’hui, cela peut souvent me paralyser car je pense alors que ce que je fais est mauvais et sans intérêt. Jusqu’à ce que je réalise que ce que je fais, et bien ça me correspond avec mes défauts et mes qualités et que c’est finalement le but de mon long travail. Entre temps, j’ai perdu du temps à douter. Par ailleurs, il est vrai que le peu de temps que j’ai pour lire je le consacre aux livres qui vont documenter mes scénarii. Parfois je lis juste pour le plaisir mais ces dernières années, c’était rare.

 

J’avais déjà lu que vous n’aviez pas beaucoup confiance en vous et en votre dessin. Cela m’avait beaucoup étonné…

Comme je vous le disais, c’est même pire que ça. Au début de chaque nouvel album j’ai un énorme trac. Je repousse le moment de la première planche autant que je peux, jusqu’au jour où je me mets un bon coup de pied au cul. Après, je mets la tête dans le guidon. Une fois le livre édité, je le range sur une étagère, je le regarderai bien plus tard quand j’aurais accepté ce que j’estime être imparfait. Le temps m’aide à finalement être indulgent avec mon travail. Cette phase-là me semble plus courte aujourd’hui…

 

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