Magnolias. Un bien joli nom, presque paradisiaque, pour cette plantation de canne à sucre de Nouvelle-France passée sous contrôle anglais après la défaite des troupes de Montcalm dans les plaines d’Abraham en Haute-Louisiane canadienne. C’est son histoire que Pierre Pelot raconte ici. Il nous dit comment Penelope Ruz y Ortega de la Torre et Elmer Devoie s’étaient illégalement octroyés sa propriété. Puis comment Johan Forestier eut l’idée de leur subtiliser en se faisant passer pour son procureur au nom de son vrai propriétaire résidant à Nantes, loin de là, en France. Comment, tombé amoureux de la Señora Ruz, Forestier lui proposa, une fois son mari mort, d’être sa compagne et de continuer à jouir de Magnolias avec ses enfants. Comment Emmeline se retrouva à grandir au milieu des esclaves et des filles Ruz alors qu’elle est née dans un petit village de lorraine. Ou encore comment la Señora Ruz essaya d’évincer Emmeline lorsqu’elle apprit que Forestier, vieillissant, lui avait légué l’entièreté de la propriété…
Une histoire violente et tourmentée qui ne fait finalement qu’épouser les soubresauts de cette époque sanglante qui vit esclaves noirs parfois tenter de se rebeller contre leurs maîtres pour briser leurs chaînes, français, anglais et espagnols se battre si loin de chez eux pour revendiquer ces terres inconnues au nom de leur roi, indiens se révolter contre les attaques répétées dont ils étaient victimes, américains tout nouvellement affirmés se retourner contre la couronne anglaise pour obtenir leur indépendance…Une Louisiane que Pierre Pelot décrit avec un réalisme étonnant. A travers ses descriptions habitées, il fait littéralement vivre ce coin de Nouvelle-France et on finit, au bout de quelques dizaines de pages, par sentir cette Louisiane chaude et humide, par entendre les worksongs des esclaves noirs dans les champs de canne, bref par voir ce coin du sud de ce que l’on appelait alors la Nouvelle-France. Là est le talent de l’auteur vosgien (3 des personnages principaux du roman, Emmeline, sa mère, et sa grand-mère Esdeline, surnommée Rouge Bête pour son courage et sa férocité à survivre dans les contrées sauvages d’Amérique, sont d’ailleurs natifs des Vosges) : faire revivre l’Histoire de la Louisiane uniquement grâce à la magie de ses mots, à sa façon de les assembler et de leur insuffler la vie (ou la mort, comme avec cette métaphore grandiose qui vous plante une ambiance : “En plus de tout, ce fut au cours de cette septaine qu’éclatèrent les premiers orages d’un été qui pourtant glissait déjà vers sa tombe”), en donnant des allures de vieux français (“septaine”, “paravant”, “mêmement”, “amortée”, “4 ou 5 perches d’arpent”) à sa prose habituelle, et en ponctuant le récit de mots indiens, cajuns (“bibittes”, “cocodrilles”) ou espagnols, sans même s’y être rendu pour faire des repérages ou s’imprégner de son ambiance (c’est lui-même qui nous l’a confié, ajoutant que, du coup, il n’avait plus besoin d’y aller puisqu’il s’était déjà baladé dans les bayous et autres marécages remplis de gators de la Louisiane grâce à sa plume et à son imaginaire)…
Avec Debout dans le tonnerre (qui est aussi une quête des origines -après avoir retrouvé le journal de voyage de sa grand-mère, Emmeline essaie de comprendre ce qui l’a amené ici, à Magnolias- et une histoire d’amour -la jeune fille en pince pour le beau Vicente Ruz), Pelot a créé une fresque hypnotique et sauvage, qui embrasse la vie de 3 générations de femmes et nous plonge sans avertissement préalable dans l’Amérique de la fin du XVIIème siècle : une terre âpre, sans foi ni loi, qui ne sourit qu’aux plus aventuriers et aux plus maniganceurs. Un Pelot qui braconne sur les terres inhospitalières d’un Joseph Boyden (il faut absolument lire son Dans le grand cercle du monde si vous ne le connaissez pas encore!) le temps d’un roman tout en gardant son style très personnel. Superbe.
(Roman – Editions Eloïse d’ Ormesson)