BD. Deep me commençait dans le noir. Deep it commence dans le blanc des nuages. Comme un écho chromatique inversé. Car Deep it est bien une suite, même si elle peut se lire de façon autonome, à Deep me. Ce sont comme les deux faces d’une même pièce narrative et graphique. Qui dialoguent et se répondent à distance. Dans Deep it, on retrouve Adam, qui est devenu la conscience humaine dont on a doté une IA, dernière création humaine fonctionnant encore car tout ce qui était “vivant” a disparu de la Terre qui est revenue à l’âge d’Eon. Il a été mis à bord d’une capsule qui sillonne les océans avec pour mission de trouver un endroit propice à la renaissance de la vie, une source hydrothermale à laquelle il apportera les acides aminés pour que le miracle de la vie ait de nouveau lieu 4 milliards d’années après. Mais Adam est une création humaine et au cours de ses nombreuses veilles, il ne peut s’empêcher d’essayer de comprendre pourquoi c’est lui qui est là, pour quelles raisons on l’a autorisé à penser, ce qui s’est passé lors du Grand Deuil qui a vu toute vie disparaitre, comment les humains percevaient la mort ou encore pourquoi ils n’arrivaient pas à percer le mystère de la vie. Il fait part de ces questions au programme conversationnel installé à bord pour tromper son ennui ou aux deadbots, les entités logarythmiques créées jadis pour que les humains puissent continuer à dialoguer avec les défunts et désormais archivées dans sa mémoire qui contient la totalité de la data générée par l’Humanité…
Un récit, vous l’avez compris, qui a les deux pieds dans la philosophie et qui n’est donc pas toujours forcément facile d’accès (certains passages demandent d’ailleurs à être relues une deuxième fois). Et qui tient, en ce qui concerne sa forme, du tour de force. Car l’exploration de la conscience de cette IA est graphiquement plutôt austère et radicale, les cases nous montrant uniquement ce que l’IA peut voir via son logiciel intégré : l’intérieur de la capsule. Le pupitre technique, le cerveau noyau qui contient la mémoire de l’ancien monde. Ou ce que les deux hublots lui montrent (les nuages et les matériaux en suspension dans l’océan) ainsi que les manifestations numériques (des pointillés formant des silhouettes ou le contour de visages) de ses recherches dans la mémoire de l’Humanité. Et pourtant cela fonctionne : Mathieu parvient une nouvelle fois à nous emmener avec lui dans ce voyage étonnant qui fait écho, avec talent, à ses autres récits. Une histoire toujours aussi singulière, traversée de très belles réflexions sur la vie et son sens, qui nécessite peut-être de déjà connaître les travaux de l’auteur pour être appréciée à sa juste valeur. Ou tout simplement d’être avide de lectures différentes, ambitieuses.
(Récit complet, 112 pages – Delcourt)