ROMAN. Après le meurtre de son mari Nat et l’incendie de leur épicerie, le conte de fées de Darlene s’est évaporé en quelques minutes. La jeune femme a bien essayé de lutter, au début, pour s’en sortir, surtout pour leur petit garçon Eddie mais la dépression l’a inexorablement tirée vers le bas et…vers le crack, lui retirant alors toute volonté. Tombée dans les bras de ce nouvel amant, elle était prête à tout pour trouver de l’argent pour s’offrir ses doses quotidiennes, y compris tapiner. Un soir, elle tomba sur Jackie qui recherchait des bras pour travailler sur une exploitation agricole “grand luxe”. Dans un sursaut d’orgueil et bien aidée par la drogue, Darlene monta dans le mini-bus et signa un contrat dans la foulée qui la liait à des esclavagistes des temps modernes, capables de tout pour exploiter sans vergogne ses “travailleurs” : leur fournir du crack pour les maintenir sous leur coupe en les rendant redevables quasiment à vie tout en les faisant vivre dans des conditions révoltantes. Et laissa derrière elle Eddie, son fils de 6 ans, qui n’eût ensuite de cesse de retrouver sa mère au fin fond de la Louisiane pour la sortir de l’enfer de Delicious Foods et de la drogue…
“Le docteur[…] a filé une grosse claque sur mon cul noir et il a fait : c’est un nègre ! C’est ça le mauvais sort qu’est en moi” : voilà résumé, dans cette affirmation de Tuck, l’un des personnages, ce que James Hannaham a cherché à faire dans Delicious Foods. Montrer que l’héritage de l’esclavage pèse encore sur les épaules des noirs aux États unis et dénoncer leur condition. Il le fait dans un récit choc, d’autant plus hallucinant qu’il s’inspire (même si c’est dur à croire) de faits réels s’étant déroulé en Floride au début des années 90. Il n’y a donc pas si longtemps que cela…En faisant narrer l’histoire par ses trois personnages principaux : Darlene, dont on suit la descente aux enfers jusque dans les allées de Delicious Foods à ramasser des pastèques 7 jours sur 7, parfois jusqu’à minuit, sous l’œil de How, un latino à qui Sextus Fusilier, régnant en maître sur son exploitation, a donné carte blanche pour faire régner l’ordre et la terreur ; Eddie, dont la force mentale et le courage lui permettront de retrouver sa mère et de fuir, plus tard (au cours d’une scène incroyablement forte), Delicious Foods et ses geôliers brutaux et enfin, et c’est ce qui fait la singularité du récit, le crack. Qui s’adresse à nous pour nous expliquer, dans une langue tout droit sortie de la rue du sud des États-Unis, comment il a séduit Darlene (et les autres), l’a gardé continuellement sous sa coupe ensuite et a influé sur le cours des événements : “Après quelques bouffées, je lui ai donné une impression de confiance en elle comme jamais depuis des années sans parler du bien être”. Un roman coup de poing auréolé de toutes les récompenses outre-atlantique qui dénonce avec force le racisme latent aux Etats-unis et l’exploitation par le travail des plus fragiles tout en montrant les mécanismes destructeurs de la drogue. Marquant !
(Récit complet, 400 pages – Editions Globe)