BD. “Vous n’en ressortirez pas indemnes” : combien de fois cette expression a-t-elle été utilisée pour vanter la qualité d’un livre ou d’un film ? Trop de fois, probablement, tant elle est maintenant devenue galvaudée. Dommage car quand on veut l’utiliser parce que c’est vraiment ce que l’on ressent, on hésite à le faire. Pourtant, après la lecture d’Environnement toxique, c’est vraiment ce que l’on a envie d’écrire tant ce livre vous bouscule, vous secoue. Ce récit est l’œuvre de Kate Beaton, une autrice canadienne qui y raconte les 2 ans qu’elle a passés dans les bureaux, camps et autres entrepôts des sites d’exploitation de sables bitumeux de Syncrude ou Albian sands au Canada, dans la province de l’Alberta. 2 ans passés entre 2005 et 2008 pour gagner assez d’argent pour rembourser son prêt étudiant (en Amérique du nord, les études coûtent un bras…) contracté pour financer sa licence en sciences humaines, pendant lesquels elle a découvert l’envers du décor de ces exploitations. Pollution des eaux et de l’air ou usurpation de terres (celles-ci appartiennent aux autochtones, les premières nations d’Alberta) que l’on essaie de minimiser pour que la pompe à fric continue de fonctionner. Mais l’environnement toxique du livre est surtout celui de ces camps où sont entassés des centaines de travailleurs, souvent peu éduqués, qui ont quitté leur province natale (beaucoup viennent de Terre-Neuve ou de Nouvelle-Ecosse, des provinces économiquement défavorisées du nord-est du pays) pour pouvoir faire vivre leur famille. En grande majorité des hommes qui se retrouvent loin de chez eux, découvrent le déracinement et la solitude et n’ont que peu de choses à faire (la vie sociale y est proche de zéro) quand ils ne travaillent pas dur. Et Kate Beaton a dû vivre parmi ces hommes pendant deux ans. Elle y a connu un harcèlement hallucinant, quasi quotidien : remarques sexistes, drague lourdingue, incitations régulières à sortir avec des mecs ou carrément à “baiser” et même le viol, par deux fois…Beaton raconte ici ces mois douloureux. Et réfléchit aussi, en chemin, aux causes de ces violences sexistes : la concentration très masculine dans ces camps, le manque de sensibilisation et d’éducation sur le sujet de la part des grosses compagnies qui les emploient, la banalisation de la consommation d’alcool ou de cocaïne, se demandant si son père, son cousin ou son grand-père se seraient comportés de la même façon s’ils s’étaient retrouvés dans la même situation…
Un récit fort, dur aussi malgré l’apparente naïveté du dessin (un trait minimaliste qui se veut avant tout clair et lisible) et nécessaire, que vous allez prendre de plein fouet, surtout si vous êtes un homme…
(Récit complet, 440 pages – Casterman)