Joseph est photographe à Pittsburgh. Il fait le portrait des notables de la ville, des magnats du charbon, de leurs femmes et de leurs enfants. Cela marche bien pour lui. Pourtant, en ce mois de mai 1867, il a décidé de faire partie d’une mission d’exploration dans les contrées sauvages à l’ouest du Mississippi et de laisser derrière lui sa femme et ses 2 enfants pendant quelques mois. Il y aura là les meilleurs spécialistes en botanique, en météorologie, en zoologie ou en topographie de l’est américain. Ils sont chargés par le gouvernement fédéral de cartographier ces nouvelles zones : de nouveaux gisements d’or, de nouvelles terres à coloniser…Une expédition dont Joseph ne sortira pas indemne : le photographe sera en effet frappé par la beauté primitive de la culture indienne et choqué par le génocide en marche de ce peuple fier et généreux. Alors, il n’aura de cesse de vouloir repartir, seul, pour prendre d’autres clichés des Sioux Oglalas et ainsi témoigner de la culture de ce peuple, de sa philosophie et de ce monde en train de disparaître avant qu’il ne soit trop tard.
Si dans ses précédentes œuvres, Thierry Murat s’était appuyé sur les récits de romanciers ou de scénaristes (comme Hemingway dans Le vieil homme et la mer ou Rascal pour Au vent mauvais), c’est cette fois en auteur complet qu’il s’est attaqué à Etunwan. Avec le même bonheur. Il faut dire que son style graphique très particulier et sa narration contemplative sont en totale adéquation avec le personnage principal : ce photographe qui prend le temps de regarder ces nouveaux territoires sauvages qu’il découvre et surtout ses habitants pour tenter d’en donner une vision vraie et juste. Non pas celle que l’on voit parfois, surfaite et exotique, de chefs Sioux posant devant leur tipi. Mais une vision qui rendrait compte de ce que l’âme a ressenti à ce moment-là : l’harmonie qui règne dans les villages de tentes, les couleurs, les bruits des enfants qui jouent, les chevaux en liberté et les vieillards au regard lucide. Mais aussi avec les amérindiens, bien sûr, qui vivent au rythme des saisons, en harmonie avec la nature et les bisons que les blancs tuent pour pouvoir construire leur chemin de fer tranquillement.
C’est le récit, touchant, d’un homme qui se sent peu à peu s’éloigner du monde qui est le sien, celui des blancs, amoureux qu’il est de la culture indienne, et émouvant, d’un peuple en train de disparaître, quasiment sous nos yeux. Sorte de prolongement fictionnel de Tocqueville, Vers un nouveau monde (dont on a récemment parlé dans ces colonnes), Etunwan, et son intéressante réflexion sur l’art, en train de naître, de la photographie, en filigrane, est une très grande réussite. Et un très bel hommage aux amérindiens.
(Récit complet – Futuropolis)