PASCAL RABATE est un touche à tout qui fonctionne à l’instinct et au plaisir. Un créateur qui fuit absolument l’ennui et n’aime rien moins qu’expérimenter et se frotter à de nouveaux défis. Après la bande dessinée (d’”Ibicus” à “Crève saucisse” en passant par “Les petits ruisseaux”), et plus récemment le cinéma (il a notamment adapté “Les petits ruisseaux”, avec Daniel Prévost dans le rôle principal), il vient de sortir “Fenêtres sur rue”, objet singulier (un livre accordéon qui se lit dans les deux sens) en même temps que récit hommage étonnant entièrement réalisé au pinceau. L’occasion était trop belle de lui poser quelques questions via internet !
Pouvez-vous nous parler de la genèse de “Fenêtres sur rue” ?
C’est Clothilde Vu (Ndr : qui dirige la collection Noctambule) qui m’a contacté et m’a proposé de travailler un livre dans ce format et cette forme. J’ai trouvé l’objet et le concept enthousiasmants.
Comment est venue cette idée de théâtre de papier et d’un même décor pour toutes les planches de la pièce ? Parce que cela correspondait bien au petit théâtre de la vie que vous proposiez au lecteur de regarder ?
L’idée est venue très vite. Je venais de terminer un film sur l’état du couple, j’avais envie de prolonger cette réflexion sur un livre. J’avais aussi l’envie de revenir à la peinture et celle de travailler sur le voyeurisme.
A ce propos, quand vous parlez de vos livres vous dites que vous aimez observer les gens, que vous êtes un voyeur et que ce que vous essayez avec vos personnages c’est qu’on puisse imaginer leur vie avant et après. Finalement, avec ce nouveau récit, vous ne faîtes que pousser le bouchon un peu plus loin en “épiant” dans les appartements (et la vie…) de ces personnages par leurs fenêtres…
En quelque sorte…Et c’est aussi essayer de faire des histoires avec très peu d’informations, de jouer sur la frustration et l’imagination, le hors champ étant aussi important que le montré.
La présence d’Hitchcock et Tati (mais il y a aussi Maigret, non ?) au casting était-elle déjà là au départ ou est-elle venue un peu plus tard ?
L’envie de présenter les trois, “Tati, Hitchcock et Maigret”, est venue assez vite : la poésie de Tati, la malice d’Hitchcock, la noirceur de Simenon, m’ont construit. Je pourrais en ajouter bien d’autres mais j’ai vu leurs ombres sur ce projet.
Leur présence était-elle aussi une façon de dire au lecteur qu’il avait ici un rôle un peu différent à jouer, que comme eux il devait mener l’enquête ?
C’est plus un clin d’œil qu’autre chose, ce sont les parrains de ce projet.
Le titre du livre, les extraits de films d’Hitchcock et de Tati qui défilent sur l’écran de télévision d’un des appartements, les 2 réalisateurs qui se promènent sur la scène : cette volonté de rendre hommage à ces réalisateurs (qui ont certainement accompagné votre jeunesse) était présente en vous depuis longtemps ?
C’était un amusement, une manière de demander au lecteur d’aller chercher dans les détails.
Est-ce que ce sont des gens comme eux qui vous ont donné envie de passer à la réalisation ? Que vous apporte ce média –le cinéma— qui vous manquait avec la bande dessinée ?
Les deux supports sont complémentaires, il y a des projets que je pense en livre et d’autres que je pense plus en cinéma. Le cinéma me permet d’associer des gens à la création, de travailler en groupe, de voir mes histoires m’échapper. La bande dessinée, c’est une démarche plus intérieure. En même temps, j’aime le silence en cinéma et j’aime les dialogues en bd.
En tout cas, ce projet vous a apparemment fait reprendre les pinceaux pour la première fois depuis “Ibicus”…Pourquoi ce choix (on sait que la peinture est chronophage…) et à quel moment s’est-il imposé à vous ?
Le sujet dicte la forme. Je n’ai pas de style, j’ai des idées et après je réfléchis aux outils, au traitement, qui serviraient au mieux ce que j’ai envie de dire. Il y a l’envie et le plaisir de tester aussi.
L’une des très bonnes idées, je trouve, du livre est de montrer l’envers du décor, les coulisses, de la pièce que vous présentez ensuite, sur les pages de couvertures. Comment vous est venue cette idée ?
C’est une idée du maquettiste Didier Gonord. J’ai trouvé l’idée pertinente : ça posait beaucoup de questions et ne dévoilait pas trop l’histoire.
Par contre, le “vrai” envers du décor de ce livre reste invisible aux lecteurs… Pourriez-vous nous en parler un peu : nous dire quelques petits secrets à son sujet, nous raconter quelques anecdotes sur sa réalisation ?
L’envers, l’endroit…J’ai regardé pas mal les immeubles qui étaient en face de celui dans lequel je venais d’emménager, je me suis levé la nuit à divers heures, pas spécialement pour voir les voisins mais pour voir la lumière…
C’est sûr, je fuis l’ennui. Je radoterai bien assez tôt donc tant que je peux expérimenter, je le fais. Le plaisir est le vrai moteur de mon travail.
Du coup, on a envie de vous demander quel défi vous tentera à l’avenir… Mettre en scène au théâtre pour “de vrai” ?
Hé Hé, pourquoi pas!
J’aimerais que l’on parle un peu de “Crève saucisse” sorti il y a peu chez Futuropolis : quand vous avez écrit son scénario, saviez-vous déjà que ce serait Simon Hureau qui le mettrait en images ou n’avez-vous pas pu vous en charger vous-même faute de temps ?
J’avais envie de travailler avec Simon, l’idée flottait dans mon cerveau. J’aimais son travail, je lui ai parlé d’une association, il a dit oui.
Quelle partie du travail sur le récit de bande dessinée vous donne le plus (et le moins) de plaisir : écrire le scénario ou le dessiner ?
J’aime les deux, ce sont des plaisirs différents : l’un cérébral, l’autre animal. S’il y a une partie que j’aime le moins c’est coloriser les planches quand je n’ai pas travaillé en couleur direct. Je fais ça de façon mécanique.
J’imagine sans peine que vous devez avoir un planning bien chargé. Du coup, n’est-ce pas trop frustrant de ne plus pouvoir raconter des histoires dessinées aussi souvent qu’avant ?
Aucune frustration, j’alterne les plaisirs comme les médiums.
Vous avez d’autres projets pour la bande dessinée ?
À court terme, un projet avec Sébastien Gnaedig : lui au dessin, moi au scénario, chez Vents d’ouest.
Mais revenons à “Crève saucisse”. Si l’histoire est noire et le ton bien désenchanté, le dessin d’Hureau, tout comme la mise en couleurs, tirent plus le récit vers la comédie. Etait-ce un choix délibéré ? Une façon de dédramatiser, d’alléger un peu le propos ?
Ça, il faut le demander à Simon : je lui ai filé les clefs, il a donné l’éclairage.
Dans vos récits, l’adultère, le divorce, sont souvent présents et dans vos 2 derniers récits, un amant se fait même tuer (dans “Crève saucisse”) et une épouse assassiner (dans “Fenêtres sur rue”). Alors les Rita Mitsouko avaient raison quand ils chantaient “l’amour finit mal en général” ?
Pas toujours, une histoire finit une autre recommence….Heureusement que toutes les histoires ne finissent pas en fait divers.
Un petit mot tout de même à propos des “Petits ruisseaux”. J’ai l’impression que ce récit est désormais un peu à part dans votre œuvre. C’est lui qui vous a notamment donné la possibilité de passer derrière la caméra. Comment percevez-vous ce livre avec le recul ?
Je ne le situe pas spécialement à part, c’est l’histoire d’un homme qui s’interroge sur le fait de s’arrêter de vivre ou de continuer, c’est un peu la même question que se pose Siméon dans “Ibicus”. La forme est plus légère mais la question est la même : celle de la survie.
Pouvez-vous nous parler de son adaptation pour le cinéma et de cette première expérience en tant que réalisateur ?
L’expérience a été formidable. Je m’étais déjà essayé à des courts métrages et un moyen métrage mais dans un cadre plutôt bricole. Même si l’économie du film n’était pas énorme, j’étais avec des professionnels, aussi bien techniciens qu’acteurs. C’est assez drôle de voir son récit, ses personnages, vous échapper. J’aime beaucoup ça. Je pense que l’art est plus dans l’échappé que dans le contrôle.
On sait que vous avez ensuite réalisé “Ni à vendre ni à louer”. Avez-vous d’autres projets pour le cinéma ?
Je suis en train de finir la post production de mon prochain film “Du goudron et des plumes”. Avec Sami Bouajilla, Isabelle Carré, Daniel Prévost et plein d’autres…C’est une chronique douce-amère. Je n’en dis pas plus…