Nous sommes au temps des croisades et l’heure est grave : les chevaliers de la chrétienté sont prêts à partir combattre pour le triomphe de la foi en terre païenne et l’évêque va d’ailleurs donner de sa main, depuis le balcon de la cathédrale, la bénédiction de la Sainte Lance, celle-là même qui fut utilisée pour faire couler le sang du Christ sur sa croix. Pourtant il manque un signe fort pour que le peuple soit tout entier derrière ses combattants. Un élu ou peut-être un miracle. Qui va opportunément venir de la Sainte Lance qui, en glissant malencontreusement des mains de l’évêque, va blesser un modeste homme aux côtes, au même endroit que Jésus. De leur côté, les musulmans aussi ont leur élu : un guerrier valeureux qui s’est illustré à de nombreuses reprises lors de batailles. Une figure respectée de tous jusqu’à ce que pris de remords pour des actes qu’il a commis, il ne décide de se retirer dans la forêt, loin des hommes. Le Sultan envoie donc ses meilleurs éléments le retrouver…
Cela pourrait être drôle (d’ailleurs l’auteur ne se prive pas, dans son dessin ou quelques scènes -comme celle de l’évêque qui, tremblotant, tel Jean-Paul II sur la fin de sa vie, et à bout de force, laisse échapper la Lance- pour souligner ces côtés quasi-burlesques) : un homme vivant nu comme un sauvage dans la forêt, devenu fou à force d’être hanté par les fantômes de la culpabilité, qui prend la tête des troupes sarrasines et qui trouve en face de lui un crève la faim devenu Saint parce qu’il a été touché par la Sainte Lance et est choisi pour bouter les Musulmans hors de la Terre sainte.
Sauf lorsque l’on songe que des siècles plus tard, les mentalités n’ont quasiment pas changé et qu’aujourd’hui on tue encore au nom de Dieu. On rit jaune alors en pensant au puritanisme américain et à la guerre du Bien contre le Mal menée par Bush en Irak et en Afghanistan, au peuple « élu » israélien qui entend vivre sur la Terre que Dieu lui a choisi ou aux fondamentalistes Talibans capables d’envoyer des avions s’écraser dans les Twin towers au nom d’Allah…
« La religion est (encore) l’opium de (certain)s peuples » : Chiavini (dont on avait découvert le très beau travail graphique dans « Pénélope et Marguerite ») vient une nouvelle fois en faire la démonstration dans son récit emballant : très critique et parfaitement crédible, il tourne en ridicule la religion et ses rites abracadabrantesques (l’adoration des reliques, les miracles, les saints…) qui ouvrent la voie à toutes les manipulations et à tous les dangers, à travers une narration parfaitement maîtrisée et surprenante jusqu’au bout. Un premier album en tant qu’auteur complet très convaincant.
(Récit complet – Futuropolis)