A l’origine, il y a le tournage d’un documentaire, Retour au Caucase, dans lequel Depardieu devait arpenter l’Azerbaïdjan avec comme fil rouge un livre d’Alexandre Dumas écrit en 1855 et illustré par un peintre, Jean-Pierre Moynet, qui avait accompagné le romancier français dans son périple. La boite de production a donc eu l’idée de demander à Mathieu Sapin d’accompagner Depardieu et de jouer le rôle de Moynet. Son rôle ? Parler avec Depardieu et dessiner en même temps. Après 10 jours passés à parler, manger et à se balader dans le pays, Sapin a revu l’acteur et lui a proposé de faire une bande dessinée sur lui. C’est ce Gérard, cinq années dans les pattes de Depardieu que vous tiendrez peut-être bientôt entre les mains. En tout cas, on vous le conseille.
Car Sapin a joui d’une totale liberté pour ce livre, l’acteur lui ayant même dit : “Mais si tu le fais, tu le fais vraiment. Il faut que tu parles de Depardieu qui se casse la gueule en scooter…Depardieu qui pisse dans un avion…”. Pour présenter le dessinateur à l’un de ses amis, Depardieu dit dans une scène : “Oui, voilà, c’est Mathieu. Il me suit et il note toutes les conneries que je dis”. Et c’est exactement ça. Et c’est ce qui rend d’ailleurs cette bd captivante. Sapin montre un Depardieu qui parle beaucoup : de la vie, de la mort, de la bouffe, de l’art, de la politique. A tel point qu’il est difficile à suivre. Qui mange beaucoup aussi. Excessif. Toujours. Qui a besoin de mouvement, de s’occuper. Alors il écrit, tourne un documentaire, fait le tour de l’Europe pour une émission culinaire…Toujours à la recherche de nouveautés, de nouvelles émotions. Sinon, il s’emmerde. Alors il va en Russie voir son copain Poutine ou rencontrer des industriels pour investir dans de nouvelles affaires (il voulait tout revendre en France suite à l’affaire Eyraud qui avait dit que son exil fiscal en Belgique était minable), comme la pomme de terre “Prince Gérard” (véridique!) en Biélorussie. Il râle aussi, beaucoup, il éructe, souvent, et pousse des coups de gueule imprévisibles. Depardieu est capable de passer un temps incroyable à se faire patiemment prendre en photo avec des fans rencontrés dans la rue avant de s’emporter contre un serveur qui n’a pas fait grand chose pour mériter pareil traitement. Depardieu ne se contente pas de dire pas mal de conneries, il en fait aussi. On a déjà parlé de son déménagement fiscal en Belgique, on pourrait ajouter son soutien à Sarkozy lors de sa première campagne pour les présidentielles, ses amitiés avec Poutine ou Kadyrov, le président ultranationaliste tchétchène ou sa conversion à l’Islam (qui n’a duré que quelques mois) lorsqu’il était plus jeune.
Au final, Sapin a réussi son pari, risqué, car le personnage est devenu sulfureux : saisir l’insaisissable, sans rien occulter. Montrer l’acteur dans toutes ses contradictions et faire un portrait truculent certes mais surtout vrai et sincère de Depardieu, touchant aussi, notamment lorsque celui-ci parle de ses fêlures ou confie qu’il ne se supporte pas. Et puis il y a aussi quelques scènes absolument hilarantes, carrément d’anthologie, comme celle du banian (le sauna russe) dans laquelle Depardieu se fait enduire de miel avant de se faire fouetter avec des branches de sapin et d’en redemander ! Immanquable.
(Récit complet – Dargaud)