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HABIBI (Thompson)

On avait cru comprendre avec les 600 pages du très autobiographique « Blankets », son récit précédent, que Craig Thompson n’était pas du style à faire les choses à moitié. Mais cette fois-ci, l’auteur américain s’est lancé dans un défi carrément fou, un récit du genre obsessionnel. D’une ambition graphique époustouflante, d’une ampleur narrative incroyable. Pour aboutir à une œuvre de 672 pages qui lui aura demandé 7 ans de travail !

« Habibi » est avant tout une histoire d’amour. Entre Dodola, une jeune fille de 9 ans vendue pour une bouchée de pain par son père à son mari puis kidnappée, après l’assassinat de celui-ci, pour être vendue sur un marché aux esclaves. Et Habibi, un petit garçon de 3 ans que Dodola prend sous son aile pour le sauver d’une mort certaine. Réfugiés dans la carcasse d’un bateau abandonné en plein milieu du désert, le binôme parvient tant bien que mal à vivre heureux, en autarcie, quelques années, avant que de terribles épreuves -le désir d’Habibi à l’orée de l’adolescence, les blessures du passé, la violence des hommes, la séparation- ne viennent se mettre en travers de leur chemin.

Une histoire dont le lecteur doit réorganiser petit à petit les pièces façon puzzle gigantesque puisque celles-ci nous sont livrées dans le désordre, au gré des souvenirs ou des rêves des 2 protagonistes, qui se mêlent à des récits, que Dodola aime tant raconter à Habibi, issus de textes sacrés du Coran ou de légendes arabes, avec lesquels le destin des 2 héros semblent finir par se confondre. Une sorte de « Contes des mille et une nuits » moderne (l’action se passe de nos jours) qui vient nous parler de désir, de religion, de domination (masculine ou économique) dans un monde complètement pollué qui se détruit lentement mais sûrement, sublimement mis en images.

Le dessin en noir et blanc de Thompson, techniquement impressionnant (l’influence d’Eisner y est clairement perceptible), a vraiment un pouvoir d’évocation, une force incroyables. Et il est, de plus, mis ici en exergue par la présence de bordures ornementales (qui ont apparemment demandé 3 fois plus de temps à réaliser que les vignettes qu’elles contiennent!) s’inspirant de manuscrits enluminés, le travail, magistral, de restitution de l’architecture arabo-musulmane ou l’omniprésence de la calligraphie arabe.

Alors, bien sûr, parfois, Thompson complexifie un peu trop la narration en y ajoutant ici une théorie sur la numérologie ou là une symbolique des lettres arabes mais « Habibi », œuvre particulièrement riche et ambitieuse, sensuelle et cérébrale à la fois, reste unique en son genre !

 

(Récit complet – Casterman)