BD. On évoque encore régulièrement l’Affaire Dreyfus quand on veut parler d’erreur judiciaire ou de manipulation politique. Mais la majorité d’entre nous sait-elle vraiment ce qui s’est passé exactement ? Jean Dytar a voulu se faire sa propre opinion et s’est donc plongé dans la presse de l’époque et dans les nombreux témoignages publiés par la suite (notamment celui de Mathieu, le frère d’Alfred Dreyfus) pour en comprendre les tenants et les aboutissants et ce qui avait rendu possible une telle erreur malgré le manque flagrant de preuves et les nombreux efforts des soutiens de Dreyfus (citons le journaliste Lazare qui ne ménagea pas sa peine ou le vice-président du sénat Scheurer-Kesstner). Et ce qu’il a trouvé l’a beaucoup surpris, notamment ses résonnances avec l’époque actuelle. Alors, il a décidé d’en faire un livre…particulier. Un format à l’italienne proposé dans un joli coffret qui, pour mieux établir un parallèle avec notre XXIe siècle, présente des pages qui sont comme des captures d’écran de sites internet ou de réseaux sociaux. Le tout dessiné d’un trait fin qui imite les gravures de l’époque. Un travail graphique remarquable de maîtrise et de justesse (les portraits des célébrités de ce temps-là, comme Zola, Barrès ou Clémenceau, sont saisissants). Et pour aller au bout de son idée, l’auteur propose même, quasiment à chaque page, des contenus en réalité augmentée (qui permettent, par exemple, d’avoir accès aux notices biographiques des différents protagonistes ou de visualiser les articles des journaux de l’époque) en les scannant avec l’application Delcourt Soleil + qu’il faut avoir préalablement téléchargée.
On suit donc la chronologie des événements version 2.0, avec extraits d’interviews ou d’articles de presse issus de sites internet, likes, hashtags ou tweets réactifs, haineux ou, au contraire, en soutien à Dreyfus. Un anachronisme forcément déstabilisant de prime abord mais qui permet à Dytar de faire entendre toutes les voies qui s’exprimaient à l’époque tout en démontrant le parti pris, la mauvaise foi et même la manipulation à l’œuvre dans cette affaire. Ce qui n’est pas sans rappeler ce qui se passe sur les réseaux sociaux actuellement (d’où le “J’accuse !” du titre, qui au-delà de l’hommage à Zola qui eût le courage de défendre Dreyfus, presque contre vents et marées, représente aussi le “Je” de l’auteur qui vise clairement les réseaux sociaux et leur nouvelle façon de lyncher certaines personnes en public ou leur utilisation par certains partis pour manipuler l’opinion). Le mensonge, répété, de l’armée (qui avait totalement bâclé l’enquête et sût très rapidement que le traître n’était pas Dreyfus mais un certain Esterhazy mais décida de ne pas en parler…) et des différents gouvernements (et notamment leurs ministres de la guerre Mercier, puis Cavaignac) qui s’employèrent à couvrir la grande muette, devient ici flagrant, grâce au formidable travail de recherche et de montage de Dytar. Tout comme l’antisémitisme, immonde et totalement décomplexé, d’une partie des journaux (L’intransigeant ou La Libre parole en tête) ou de certains politiciens de l’époque comme Drumont qui influencèrent bien sûr l’opinion public de l’époque.
#J’accuse… ! est un livre dense et exigeant mais cette leçon d’histoire, à la fois singulière dans sa forme et particulièrement éclairante sur le fond, est vraiment captivante. Chapeau bas monsieur Dytar !
(Récit complet, 312 pages – Delcourt)