Jack Joseph est soudeur sous-marin sur une plate-forme off-shore à Tigg’s Bay, au Canada. Au cours d’une banale plongée, il se met à entendre des voix dans sa tête et à voir un autre plongeur tourner autour de lui pour finir par s’évanouir. Repêché en urgence, il est renvoyé sur la terre ferme par le docteur qui lui prescrit un repos de 2 semaines, le temps qu’il fasse des examens approfondis pour comprendre ce qui a pu se passer. Jack devrait être heureux, c’est peut-être un mal pour un bien : il va ainsi pouvoir rester avec sa femme jusqu’à l’accouchement prévu dans un mois. Pourtant, inexplicablement, il n’a qu’une envie : retourner sur la plate-forme pour plonger de nouveau ! Car il est persuadé que c’est au fond de l’océan qu’il arrivera à comprendre ce qui lui arrive…
Il y a vraiment quelque chose de spécial dans les œuvres de Jeff Lemire ! Appelez ça comme vous voulez : supplément d’âme, force d’évocation ou talent hors pair pour la narration graphique mais le constat est là : l’auteur canadien n’a pas son pareil pour créer des romans graphiques qui vous touchent, que dis-je ?, qui vous remuent et vous émeuvent ! C’était déjà le cas avec l’excellent “Essex County” (paru en 2010, déjà chez Futuropolis) et ça l’est de nouveau avec ce “Jack Joseph soudeur sous-marin”.
Un récit complexe, dense, très intimiste aussi puisqu’il voit son héros plonger dans son passé en même temps qu’il plonge dans l’eau (quelle belle trouvaille que cette métaphore aquatique !) pour tenter de démêler tous les fils de son enfance (les problèmes d’alcool de son paternel, le divorce de ses parents, la disparition de son père alors qu’il devait l’emmener faire le tour des maisons pour Halloween, son sentiment de culpabilité) qui ont fini par former des nœuds dans sa tête et enfin pouvoir regarder devant lui et vivre, pour de bon, avec les vivants qui lui sont chers : sa mère, sa fiancée Susie et son petit garçon qui va bientôt naître.
L’histoire est forte (et les questions soulevées –l’angoisse de la paternité, les blessures de l’enfance qui peuvent se rouvrir à l’âge adulte si elles n’ont pas été adéquatement soignées, la complexité de l’inconscient, capable de refouler certains faits trop douloureux à supporter- trouveront un écho chez beaucoup de lecteurs), la narration à la fois judicieuse (après une scène d’ouverture frappante bien mystérieuse, le récit s’emploie, par la suite, au travers de nombreux flash backs, à l’éclairer progressivement) et étonnante (le temps peut se contracter ou se dilater -1 seconde pouvant alors durer des dizaines de pages- à l’envi) tient en haleine jusqu’au bout et le dessin en noir et blanc, alternant encrage léché et trait plus spontané et direct selon les temps de la narration, est très réussi : on n’est ici vraiment pas loin du chef-d’œuvre. Et nul doute que ce récit sera l’une des 2 ou 3 meilleures bandes dessinées de l’année !
(Récit complet – Futuropolis)