Avril 1945. La Palestine est alors sous mandat britannique depuis 1920 et une décision de la Société des Nations qui chargeait l’Angleterre et la France d’administrer les anciens territoires appartenant à l’empire ottoman (qui venait de perdre la première guerre mondiale) jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de se gouverner eux-mêmes. A la France revenaient ainsi la Syrie et le Liban ; à la Grande-Bretagne, l’Irak, la Transjordanie et surtout la Palestine. Un drôle de cadeau empoisonné car si la présence juive était au départ anecdotique, l’émergence du mouvement sioniste et l’insécurité grandissante pour les juifs partout en Europe déboucha bientôt sur des vagues d’immigration de plus en plus nombreuses. Ce qui commença bien entendu à inquiéter les palestiniens -d’autant que les britanniques donnaient l’impression d’être favorables à l’apparition d’une nation juive- et aboutit à la grande révolte arabe de 1936. Une révolte brutalement réprimée par des britanniques qui furent tout de même contraints de mettre en place des restrictions à l’immigration juive. Restrictions qui restèrent en vigueur pendant toute la seconde guerre mondiale et la Shoah. A partir de ce moment-là, les britanniques furent aussi perçus comme des ennemis par la communauté juive…
A cette époque, la famille Halaby vit à Jérusalem. Izak et Emily ont 5 enfants : Dévorah et Motti sont encore écoliers mais les 3 autres sont plus grands. 3 garçons à la personnalité bien différente : David s’est engagé dans l’armée britannique pour combattre le nazisme et, à la fin de la guerre, est resté en Europe pour aider les juifs qui le désiraient à rejoindre la terre d’Israël. Avraham est quant à lui membre du parti communiste et milite pour l’égalité universelle et contre les extrémismes que sont le sionisme ou l’arabisme. Enfin, Ezra travaille en cachette pour la résistance juive…Une famille dont le destin va bientôt se confondre avec celui de la Palestine !
Voici une véritable saga que Yakin et Bertozzi parviennent à rendre captivante tout au long de ces 400 pages. En choisissant de suivre le quotidien des Halaby, les auteurs brossent un portrait plus que réaliste : authentique du Jérusalem de l’époque (les scènes de marché, à l’école ou dans les rues nous font véritablement sentir ce qu’y était le quotidien) tout en nous montrant l’Histoire en train de s’écrire au travers de l’engagement des 3 fils. Une Histoire que Yakin et Bertozzi mettent en scène sans tricher (Yakin, qui est juif et relate en fait ici l’histoire de sa famille, est notamment parvenu à poser un regard impartial sur le déroulement des évènements) en la montrant telle quelle, sans fard : crue et violente, le dessin de Bertozzi excellant à retranscrire la brutalité des scènes de combat ou la folie et l’agitation des émeutes.
Vraiment un excellent roman graphique, qui mêle très habilement petite et grande Histoire pour tenir en haleine jusqu’au bout de ce double portrait de famille (il y a celui des Halaby bien sûr mais aussi, en filigrane, celui des frères –ennemis en ce moment- que sont palestiniens et israéliens dont la relation est étrangement proche de celle entre Izak et son aîné Yakov, bien plus riche que lui mais qui l’oblige pourtant à lui payer le loyer de la maison de leur père dans laquelle il vit avec sa famille tout en sachant que cela lui pourrit la vie…) et permet de mieux comprendre le conflit israélo-palestinien en mettant un coup de projecteur sur ce que l’on peut considérer comme ses racines. Du grand art !
(Récit complet – Casterman)