BD. Fabrice Néaud s’est fait connaître ces dernières années comme auteur de science-fiction, avec des séries comme Nu-Men (qui a été abandonnée après 2 tomes sortis) ou plus récemment Labyrinthus avec Bec au scénario. Mais il ne faudrait pas oublier qu’il a d’abord débuté par un récit autobiographique intitulé Journal qui a commencé à paraître chez Ego Comme X (l’auteur faisait partie de l‘équipe qui a entouré et aidé son fondateur, Loïc Néhou) à partir de 1996. Qui s’arrêta, après 4 tomes, en 2002. Non que son auteur avait dit tout ce qu’il avait à dire. Mais plutôt que sa situation financière particulièrement précaire (il vivait des minimas sociaux) l’obligea à trouver d’autres façons de gagner sa vie. Et aussi parce qu’un questionnement éthique (en gros, peut-on tout dire dans un récit autobiographique sans faire de mal à ceux que l’on représente à ses côtés ?) l’empêcha de continuer à avancer…Pourtant, l’auteur n’a jamais cessé de dessiner des pages autobiographiques pendant ces 20 années d’absence éditoriale. David Chauvel, également directeur de collection chez Delcourt, lui a donc proposé d’éditer la suite de son Journal. Ce sera à partir de début 2023, ça s’appellera Le Dernier Sergent et le récit comportera 4 tomes qui couvriront la période vécue entre 1998 et 2002. Mais auparavant Delcourt a donc décidé de ressortir les 4 premières parties du Journal en 3 tomes (les parties 1 et 2 étant rassemblées dans le tome 1), les 2 premiers tomes paraissant ce mois-ci et le troisième en septembre, histoire de donner une nouvelle visibilité à ce Journal. Un récit qui avait marqué le monde de la BD à sa sortie. Car l’autobiographie (ça allait ensuite venir, Journal jouant clairement un rôle dans cet avènement…) n’était pas encore “à la mode” dans les années 90. Mais surtout parce que Journal est d’une violence incroyable. Fabrice Néaud s’y met effectivement totalement à nue, au propre comme au figuré, ne faisant l’impasse sur rien. Ni sur les scènes de sexe, assez nombreuses (logique, puisque la sexualité, ou plutôt la misère sexuelle en est l’un des thèmes), ni sur ses échecs amoureux répétés (l’auteur “s’entête” à tomber amoureux de mecs inaccessibles car hétéros), son attirance paradoxale (ce sont les mêmes mecs qui le frappaient en le traitant de “pédé” quand il était gamin) pour les brutes ou l‘homophobie rampante dans les années 90. Une démarche radicale, jusqu’au boutiste même, logiquement portée par un dessin “nu”, en noir et blanc, au trait réaliste magnifique, qui propose parfois des portraits criants de vérité et une narration inventive et souvent poétique. Une démarche qui lui valut pas mal de problèmes, les hommes dont il s’était épris, notamment Dominique, n’acceptant pas d’apparaître dans ces pages sans qu’on leur ait demandé leur consentement…
Journal est un choc narratif. Un cri, violent et sincère, de révolte mais peut-être surtout de douleur. Qui nous parle aussi de la brutalité du monde économique et de création. Un grand récit que l’on ne peut quitter avant d’en avoir lu la dernière page !
(Série autobiographique, 200 pages pour le tome 1, 424 pages pour le tome 2 – Delcourt)