BD. Vous avez peut-être découvert Ersin Karabulut avec les recueils de récits courts (Contes ordinaires d’une société résignée et Jusqu’ici tout allait bien) parus chez Fluide Glacial en 2017 et 2020. Cette fois, il a mis le fantastique de côté pour choisir l’autobiographie. Avec Journal inquiet d’Istanbul, Karabulut se raconte donc. Il explique comment, dès le plus jeune âge, il passait son temps à dessiner, rêvant un jour de devenir auteur de bande dessinée. Il revient sur son environnement familial, la banlieue modeste d’Istanbul où il a grandi, la grande école qu’il rejoint après le primaire pour devenir ingénieur (ses parents lui avaient dit que l’on ne pouvait pas vivre de l’Art en Turquie…) puis comment il parvint à convaincre ses parents de le laisser s’inscrire dans une école d’Arts appliqués en échange de la promesse de ne pas travailler pour des magazines satiriques politiques (pour qui il faisait des dessins depuis quelque temps déjà…). Mais il raconte aussi son pays, la Turquie, bien sûr. Les tensions entre communistes et religieux qui existaient dans les années 80 ; la présence de plus en plus importante des barbus dans la société et l’arrivée au pouvoir d’un certain Erdogan et de son parti, l’AKP, le parti de la justice et du développement, en 2002, lui qui, quelques années plus tôt, expliquait dans ses discours qu’il fallait se débarrasser de la laïcité et que la démocratie n’était qu’un moyen qu’il abandonnerait dès qu’il l’aurait amené où il désirait…Dans ce Journal, Karabulut lie sa trajectoire personnelle et celle de son pays et aborde les deux de la même façon : sincère, critique et souvent drôle. Ainsi, s’il n’épargne pas Erdogan et ses assauts contre la liberté, notamment de la presse (Penguen, le magazine pour lequel l’auteur dessinait, en a fait les frais…), qui plongent progressivement son pays dans les ténèbres, Karabulut se montre sans concessions avec lui-même (il montre comment il s’est, notamment, laissé griser par ses premiers succès dans la BD et a profité de sa nouvelle notoriété avec les femmes !) également. Un Journal inquiet d’Istanbul qui s’annonce indispensable, à la fois ode à la création et à la BD et manifeste pour la liberté, porté par un travail graphique étonnant (il mêle caricature et réalisme saisissant) mais particulièrement abouti. Vivement la suite !
(Autobiographie en plusieurs volumes, 152 pages pour ce volume 1 – Dargaud)