BD. 1937. Alors que la plupart des américains ont du mal à sortir la tête de l’eau de la Grande Dépression, John Clark vient de décrocher un travail ! Il va se rendre dans l’Oklahoma pour photographier les tempêtes de sable, la pauvreté, la sécheresse et les nombreuses familles qui plient bagage vers la Californie pour fuir le Dust Bowl et sa poussière qui recouvre tout, s’insinue par le moindre interstice des maisons et empêche les semences de pousser, pour le compte de la FSA, un organisme gouvernemental qui veut montrer aux américains ce que les habitants de cette région vivent. Une fois sur place, John se met au travail avec entrain et énergie mais l’accueil souvent froid et méfiant des gens instille rapidement le doute en lui. N’est-il pas en train de les tromper en abusant de leur confiance ? Ses photos peuvent-elles vraiment montrer la réalité de ce qu’ils vivent ? Et, au bout du compte, vont-elles réellement changer quelque chose à leur situation ?
Pendant 10 ans, de 1929 à 1939, les grandes plaines américaines ont connu des phénomènes climatiques exceptionnels : sécheresse et violentes tempêtes de poussière qui, ajoutées à l’invasion de lièvres et de sauterelles, rendirent l’agriculture quasiment impossible. Et forçèrent la plupart (ils seront quelque 2,5 millions à prendre la direction de l’ouest, notamment la Californie) de ses habitants à fuir. Pour pouvoir gagner leur vie et tout simplement survivre, notamment à la « pneumonie de la poussière » (maladie qui voyait la poussière s’infiltrer dans les poumons des victimes qui finissaient par en étouffer…). C’est dans ce contexte que John le photographe débarque de la ville (il vit à New-York…) pour remplir sa mission. Un reportage qui aura valeur d’initiation pour lui. Puisqu’elle l’obligera à réfléchir à sa pratique photographique mais aussi aux motivations (son père, mort 4 ans auparavant, qui le battait quand il avait bu, était aussi photographe…) qui l’ont poussé vers ce métier…
Aimée De Jongh a un formidable sens de la narration, on l’avait noté dans notre chronique de Le Retour de la bondrée, son déjà très abouti précédent roman graphique. Et Jours de sable n’en est que l’éclatante confirmation. Dans ce récit à mi-chemin entre Les Raisins de la colère (qui suit justement le destin d‘une famille du Dust Bowl) de Steinbeck, pour le fond et Le Photographe de Guibert (chaque chapitre s’ouvre sur une photo issue des archives de la FSA et le récit offre, en guise d’épilogue, un portfolio d’autres photos d’époque commentées), pour la forme, le récit n’a en effet pas son pareil, grâce à son découpage qui prend le temps (les dessins pleine page reviennent régulièrement et le récit s’étale sur 288 pages !) d’observer les paysages, les animaux, les maisons et, surtout, les gens et à un dessin semi-réaliste très évocateur, pour installer une vraie proximité entre le lecteur et ses personnages er rendre palpable ce que ces derniers ressentent : que ce soit le désespoir (que l’on lit sur leur visage) des fermiers de l’Oklahoma qui les pousse à quitter une région où leur famille a construit leur maison et où leurs enfants ont grandi (et sont parfois enterrés…) ou la crise de conscience de John, son personnage principal : les doutes qui l’assaillent mais aussi l’humanisme que l’on sent chez lui ou l’empathie dont il fait preuve. Tout cela est ici criant de vérité. Un talent qui fait de ce roman graphique une grande expérience de lecture. Dargaud ne s’y est d’ailleurs pas trompé en proposant une édition de grande qualité (signet, jaquette, papier épais) mettant parfaitement en valeur Jours de sable, témoignage intense et marquant de ce que fût la grande dépression dans le Dust Bowl !
(Récit complet, 288 pages – Dargaud)