Panique ! Quand le lecteur commence le livre, il est déjà à la page 7. Il a manqué le début du récit. Et il n’a eu le temps de voir le héros de l’histoire, Julius, que l’espace de 3 cases ! Ne reste plus que les personnages secondaires, livrés à eux-mêmes car ils ont eux aussi raté le début. En retard, décalés (d’où le titre) par rapport au récit, ils n’ont pas le choix : ils doivent rattraper le temps et retrouver Julius pour réintégrer l’histoire. Cars sans histoire, ils ne peuvent exister, si ? En tout cas, leur quête les mène rapidement dans un immense rien, totalement ouvert et presque infini, où il n’y a pas de rebondissements et où les dialogues frisent le non-sens…
9 ans que Marc-Antoine Mathieu n’avait pas sorti de nouvel opus de “Julius Corentin Acquefacques” (depuis la “2,333e dimension”, paru en 2004), LA série où il se permet ses plus folles expérimentations. Non qu’il s’était lassé de son (anti-)héros. Au contraire. Mais plutôt parce qu’après 5 épisodes, il devenait difficile de continuer à innover et à repousser les limites de la bande dessinée sans se répéter !
Un défi que ce “Décalage” relève avec brio : une histoire sans héros, des personnages secondaires perdus hors du récit, dans le rien, un livre dont la première de couverture est la septième planche de l’album (il faudra attendre le moment où on aura retrouvé le héros pour tomber, au beau milieu du récit, sur la “vraie” couverture) : ce sixième opus est truffé de surprises scénaristiques (et encore, on ne peut pas ici toutes les citer sous peine de gâcher le plaisir de la lecture !). A tel point que Delcourt a été obligé d’ajouter un bandeau rouge sur le livre pour que le nom de l’auteur et le titre du récit apparaissent tout de même et afin d’avertir le lecteur que les “anomalies” de l’album sont “parfaitement volontaires et en constituent même le sujet”. C’est le service fabrication de Delcourt qui a dû être content lorsqu’il a vu le projet arriver…
Un récit qui en déconcertera plus d’un tant il est singulier et novateur (que ce soit dans le fond ou la forme). A la limite (et même parfois au-delà) de l’absurde, ce “Décalage” parvient pourtant à tenir le lecteur en haleine jusqu’au bout avec une histoire dont l’intrigue porte sur son médium même : la bande dessinée et ses potentialités. Médium que Marc-Antoine Mathieu emmène ici dans une autre dimension. Grandiose, tout simplement !
(Série composée d’épisodes indépendants – Delcourt)