Klontown est un village aux confins du Malaskar, territoire situé entre Sibérie et Alaska. Le climat y est rude et les quelques pionniers qui arrivent jusque là survivent de la vente de peaux. Néanmoins, son maire, William Klondike, a bien l’intention de tirer profit de ses richesses souterraines (en minerais de toutes sortes mais aussi en gaz et en pétrole) pour en faire une grande mégalopole et faire fortune au passage. Mais pour que son projet soit viable, il lui faut d’abord parvenir à dompter ce fleuve qui inonde tout sur son passage au printemps. Le projet de barrage qui voit alors le jour signifierait l’inondation totale de Lost Valley alors que quelques familles indiennes y vivent toujours. Qu’à cela ne tienne, Klondike y envoie Morcov, son homme de main, et sa bande pour les intimider afin qu’ils partent. Mais le plan initial tourne mal : les indiens résistent, Morcov ouvre le feu, bientôt suivi de ses sbires : en quelques secondes, tous les membres de la tribu indienne sont abattus. Tous sauf le jeune Yuma, qui a assisté à la scène et jure de se venger tout en s’enfuyant…
Avec « Kraa », Sokal a décidé de nous rejouer un épisode de la conquête de l’ouest américain, du grand nord ouest, pour être précis, l’une des dernières régions du continent encore inexploitées au début du XXème siècle. On retrouve donc sans réelle surprise les grandes figures du genre, un brin archétypales, c’est vrai : les industriels assoiffés d’argent capables de tout ou presque pour parvenir à leurs fins, les immigrés polonais, irlandais ou chinois obligés d’accepter les travaux les plus pénibles pour subvenir aux besoins de leurs familles, les voyous sans foi ni loi à la solde des nantis de la ville qui se chargent des sales besognes pour eux ou encore les indiens, méprisés, qui errent dans les rues comme des âmes en peine ou que l’on tue sommairement s’ils deviennent gênants…
Un univers violent et sans pitié que le cinéma ou la littérature nous ont rendu bien familier, certes, mais qui fonctionne ici parfaitement. Parce que Sokal a fait un important travail de recherche en amont pour que sa reconstitution de cette époque et de la région elle-même soit tout simplement impeccable : paysages superbes de la nature sauvage, habitations autochtones, campements : tout ici est parfaitement crédible. Y compris les personnages d’ailleurs : ils ont beau être fictifs, on ne peut s’empêcher de penser que leurs alter-egos ont bel et bien existé dans ces contrées lors de la fameuse ruée vers l’or. Mais surtout parce que l’auteur nous a réservé une surprise narrative de taille en choisissant un aigle puissant comme personnage principal de son récit ! C’est en effet à travers ses yeux que l’on perçoit l’action et c’est lui qui va décider du cours des évènements et donc du récit puisqu’il est entré en résistance contre ces spéculateurs humains qui veulent détruire sa vallée et a pris le jeune Yuma sous son aile pour l’aider à accomplir sa vengeance !
Tout au long de cette trilogie, on sent toute l’amitié que Sokal porte à cette lutte pour défendre la nature et punir les promoteurs avides et méprisants. Naïf ? Peut-être mais cela nous plaît bien et on a envie de savoir comment ce récit va se finir.
(Trilogie – Casterman)