BD. Port d’Anvers, novembre 1955. A cause d’une avarie en mer (une tête de bielle qui a rendu l’âme), au large des côtes du Brésil, le Condor rentre avec 17 jours de retard. Dans les cales du cargo, le capitaine, Tillieux et l’homme pour qui il travaille, ne peuvent que constater les dégâts: c’est une véritable hécatombe. Quasiment aucun animal n’a survécu à la chaleur et au manque d’eau. Perroquets, singes et autres espèces sont tous morts. Il n’y a qu’une femelle jaguar et son petit qui s’en sont tirés. Et aussi ce drôle d’animal qui ne ressemble à aucun autre, sorte de croisement entre un ours et une panthère, avec une queue de 9 mètres de long! Une espèce de marsupial qui ne compte pas finir enfermé dans une cage au zoo d’Anvers et prend donc la fuite dés que l’occasion se présente. La bête ne va pas tarder à croiser le chemin de François, qui s’est réfugié sous un pont après que des garçons de sa classe lui aient rasé la tête, de force, dans les vestiaires de la piscine, pour lui montrer, à ce fils de boche…
Peut-on toucher au marsupilami? A-t-on le droit de s’attaquer à ce monument de la BD inventé par Franquin? Pour certains cela s’apparente à un crime de lèse majesté, pour d’autres, les héros sont faits pour survivre à leurs créateurs. D’ailleurs, récemment, Lucky Luke, Spirou, ou encore Valérian et Laureline ont vu d’autres auteurs poursuivre leurs aventures. Ce qui est sûr c’est que les éditions Dupuis ont décidé de mettre le marsupilami entre de bonnes mains. Celles de Zidrou et Frank Pé. Parce qu’ils avaient déjà travaillé ensemble, sur La Lumière de Bornéo, « leur » Spirou. Et parce que leur talent n’est plus à démontrer. Et d’ailleurs, ils en font une nouvelle fois la preuve avec La Bête, qui va surprendre plus d’un fan du Marsu. Car Frank Pé a en effet fait le choix de prendre ses distances avec le côté cartoonesque de l’animal créé par Franquin. Le marsupilami de Pé n’a en effet rien de la gentille peluche rigolote que l’on connaît. Non, c’est une bête attrapée an Brésil par les indiens Chahutas qui débarque en Belgique, en pleine ville. Un animal qui pue, se défend violemment si on lui veut du mal et doit trouver de quoi se nourrir pour survivre. Un Marsu naturaliste très convaincant que Frank Pé met en scène avec virtuosité. On connaît son talent pour donner vie aux animaux sur papier mais ici soin travail graphique est magistral! Son trait, juste, expressif et spontané et ses couleurs (des pastels rehaussés ensuite d’encres) rendent l’univers qu’il a créé particulièrement immersif. Mais La Bête n’est pas juste une jolie BD à regarder, c’est aussi une très bonne histoire, bourrée de clins d’œil (les 2 auteurs ont par exemple voulu que Franquin soit présent physiquement dans l’histoire et ont donc donné ses traits à Boniface, l’instituteur original de François) que Zidrou et Frank Pé ont décidé de camper dans la Belgique de 1955 qui a du mal à oublier la guerre. Une société morne (pas étonnant que pluie et tons gris prédominent dans ce premier tome), aux mœurs étriquées et aux nombreux préjugés. Difficile d’être original et différent dans cette société conformiste. Pas étonnant, du coup, que Boniface (qui montre des films de Charlie Chaplin ou apprend à ses élèves à faire de la mayonnaise…), Jeanne, la « traîtresse » (elle a eu une aventure avec un soldat allemand pendant la guerre) et François, le fils de boche qui passe son temps à recueillir les animaux abandonnés ou malades, que l’on renvoie continuellement, à leur différence, soient réunis pour venir en aide à cette bête iconoclaste qui ne ressemble à aucune autre. Scénario bourré d’humanisme, superbement dessiné, La Bête est une magnifique ode à la tolérance et à la différence.
(Diptyque, 156 pages pour cette première partie – Dupuis)