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LA DESOBEISSANCE D’ANDREAS KUPPLER (Goujon)

ROMAN. Février 1936.Andreas Kuppler est un journaliste talentueux. Après de brillantes études de lettres, il a rapidement été engagé comme reporter sportif dans l’un des plus grands journaux allemands. Et son rédacteur en chef, Ralph Becker, qui apprécie son style, l’a jusque là aidé à gravir les échelons de sa publication. Mais alors que les Jeux olympiques d’hiver (formidable vitrine du national-socialisme…) viennent tout juste de se terminer, il ne va rien pouvoir faire pour lui s’il ne change pas d’attitude. Oh, bien sûr, il ne s’est jamais opposé directement au régime, mais ses articles ne montrent pas assez d’enthousiasme pour les idéaux du national-socialisme. Et on ne le voit jamais aux grands rassemblements glorifiant la grande Allemagne…Pire, on l’aurait récemment vu danser avec une juive américaine critique envers Hitler dans ses articles dans un hôtel de Garmisch. Il devrait plutôt prendre exemple sur sa femme, Magdalena, qui a rejoint La Femme et l’Enfant, une association œuvrant, sous couvert d’activités sociales et humanitaires, à la réussite du national-socialisme…

« Qu’un peuple débonnaire ait pu devenir ce peuple de chiens enragés, voilà un sujet inépuisable de perplexité et de stupéfaction »: il n’est pas étonnant que Michel Goujon ait choisi de mettre cette citation de Jankélévitch en exergue de son nouveau roman. Elle résume parfaitement l’état d’esprit de l’un de ses 2 personnages principaux, Andreas Kuppler, et à travers lui, le sien, bien sûr. Car 75 ans après la fin de la seconde guerre mondiale et la découverte des atrocités commises par les nazis, la question reste entière, non-résolue: comment le peuple allemand a-t-il pu « accepter » l’arrivée au pouvoir d’Hitler alors qu’il avait pourtant annoncé son programme dans son livre Mein kampf? Comment les gens ont-ils pu fermer les yeux sur la politique de stérilisation des handicapés mentaux et physiques, des enfants trisomiques et des personnes souffrant de maladies héréditaires? Pire, comment les exactions et les lois discriminatoires anti-juives ont-elles pu se généraliser au vu et au su de tout le monde? La barbarie nazie, et les mécanismes qui l’ont rendue possible, restent incompréhensibles. Du reste, l’écriture de ce roman n’est pas une tentative pour comprendre ce qui s’est passé, l’écrivain le dit lui-même en postface. Car on ne le peut pas. Alors pourquoi écrire La Désobéissance d’Andreas Kuppler? Pour essayer d’un peu mieux appréhender cette période la plus sombre de l’histoire et de montrer comment les totalitarismes s’immiscent subrepticement dans les cerveaux en s’adressant aux instincts les plus bas de notre inconscient. Voilà pourquoi Michel Goujon nous fait ici vivre les événements du point de vue des 2 protagonistes en alternance. 2 simples citoyens, ni suiveurs aveugles des thèses national-socialistes, ni résistants héroïques face à la barbarie. Non, Magdalena et Andreas sont des citoyens ordinaires. Qui se sont progressivement laissés convaincre, malgré quelques réticentes au début, par les talents d’orateur, rassurants, avec son côté patriarche, d’Hitler, pour Magdalena. Ou qui se rendent compte, juste avant qu’il ne soit trop tard, que, par lâcheté, par attrait d’un certain confort, par ambition personnelle, par peur aussi, ils ont petit à petit renoncé à leurs idéaux, au gré des compromissions, pour Andreas.

Une plongée glaçante dans la fabrique totalitaire nazie portée par le style sobre mais plein d’acuité de Michel Goujon dont la narration est régulièrement ponctuée de références musicales, notamment au jazz, « la musique des nègres », interdite par les nazis, comme un acte symbolique de résistance à la dictature. Un roman qui prouve que tout n’avait pas encore été écrit sur la barbarie nazie.

(Récit complet, 240 pages – Editions Héloïse d’Ormesson)

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