BD. Le trop sous-estimé Nicolas Presl poursuit son petit bonhomme de chemin graphique, à l‘écart des grandes maisons d’édition (depuis ses débuts tonitruants avec Priape, en 2006, il a sorti tous ses livres chez Atrabile, petit éditeur indépendant suisse dont on dit régulièrement tout le bien que l’on pense dans ces colonnes) et des sentiers battus de la BD. Dans son nouveau récit, l’auteur reste fidèle à son style iconoclaste : narration muette pourtant d’une belle fluidité (pour cela l’auteur donne un côté théâtral au « jeu » de ses personnages), dessin expressionniste particulier avec ce côté cubiste dans les visages et poursuite de l’exploration de sa thématique orientaliste débutée, justement, avec Orientalisme en 2014. La Jungle marque pourtant un changement important : le retour au noir et blanc après plusieurs récits réalisés avec des encres de couleur. Il faut dire que cette histoire l’exigeait presque, tant elle est sombre. Car comme le suggère la première de couverture, le héros de La Jungle est condamné à être poursuivi par les fantômes de son passé, à être hanté, inlassablement, par la mort. Cauchemars ou crises d’angoisse sont en effet son lot quasi quotidien. Pourtant, notre homme a bien essayé de fuir la guerre qui faisait rage dans son pays (quelque part au Moyen-Orient, le protagoniste portant un Keffieh autour du cou…) en payant un passeur pour lui faire traverser la mer. Mais sur son chemin il ne trouve que violence (le terrorisme est pointé du doigt mais aussi les violences dont sont victimes les femmes, et ce plusieurs fois dans le livre…), volonté de manipuler (la religion en prend pour son grade aussi !) ou d’exploiter. Ce qui ne fait que rouvrir, à chaque fois, les blessures psychologiques qui n’ont pas encore totalement cicatrisées…Mais notre homme n’abdique pas face à l’ignominie et à l’injustice dont est notamment victime cette jolie mère célibataire sur le bateau !
Un « road book » d’une grande puissance graphique, très (mais pas totalement) désenchanté et toujours aussi singulier !
(Récit complet, 344 pages – Atrabile)