Le plan des homards a marché à merveille. Réunis sur la plage pour une bataille fratricide entre « rigides » (les conservateurs, tenants du respect des valeurs du Cancer Simplicimus Vulgaris) et « tournants » (favorables à l’évolution de leur espèce et donc à la possibilité de pouvoir se déplacer autrement que tout droit), les petits crabes carrés ont été noyés sous une épaisse couche de pétrole et leur espèce est désormais quasiment éteinte. Seuls 22 d’entre eux en ont réchappé : ils sont maintenant les esclaves des tourteaux et des homards, condamnés à leur apporter bigorneaux et crevettes à volonté. 22 individus auxquels il faut ajouter Soleil ! Qui revient, tel un héros, des profondeurs des mers après y avoir suivi un entraînement commando, accompagné de milliers d’autres crabes carrés de la côte, qu’il a formés à leur tour, pour délivrer les siens…
Après l’évolution, c’est donc l’heure de la révolution pour le Cancer Simplicimus Vulgaris ! Une révolution pour se libérer du joug des tyrans tourteaux et des dictateurs homards. Une révolution pour gagner la liberté. Malheureusement, les lendemains de victoire ne chantent pas toujours. Car d’autres dangers guettent ensuite : mégalomanie, culte de la personnalité, démagogie, luttes pour garder le pouvoir. Guitare et Lune, son épouse, devenus l’équivalent de rois, ainsi que leurs sujets, vont l’apprendre à leurs dépens dans cette troisième et dernière partie, amère et caustique, de « La marche du crabe ».
Intitulée « La révolution des crabes », celle-ci clôt en beauté cette trilogie en tous points remarquables. On y retrouve bien sûr le travail graphique vraiment singulier car entièrement réalisé par informatique, d’Arthur de Pins. Un superbe écrin formel pour cette fable (même si l’on y rencontre aussi quelques hommes : des réalisateurs de films animaliers, des responsables de Greenpeace ou des maires –celui de Royan), drôle mais aussi pinçante, qui voit ces crabes nous rejouer (les 2 réalisateurs n’ont-ils pas, d’ailleurs, abandonné leur caméra au fond de la mer pour les filmer ?) l’histoire de l’Humanité en accéléré : l’évolution des espèces, l’apparition de la parade nuptiale, la découverte du feu (symbolisée par la prise de conscience par les crabes qu’ils peuvent se déplacer autrement que tout droit), puis les guerres, les dictatures, la religion (avec la fameuse « Lueur » que les crabes voient au loin), les luttes de classes… sous nos yeux médusés. Un bijou de roman graphique !
(Trilogie – Noctambule)