ENQUETE. La note américaine est une lecture hallucinante. Un livre coup de poing qui vous laisse groggy une fois sa dernière page tournée. C’est un récit qui vient nous rappeler, tel un écho, le péché originel sur lequel l’Amérique a été fondée: l’entreprise d’extermination des peuples autochtones par l’homme blanc pour leur prendre terres et richesses. La note américaine n’est pas un roman. Son auteur, journaliste et écrivain, y relate l’enquête qu’il a menée sur la disparition inexpliquée de dizaines d’indiens Osage dans l’Oklahoma des années 20. Pendant 5 ans, David Grann (qui a également écrit un petit roman, The Yankee Commandante, dont on vous recommande la lecture) a donc épluché des milliers de pages de dossiers du FBI, de témoignages secrets de grands jurys, de transcriptions de procès, de déclarations d’informateurs, de registres de détectives privés, des correspondances privées, des journaux, des dossiers du conseil de la tribu Osage, des testaments, des rapports de curateurs ou des aveux de meurtriers pour faire remonter à la surface la vérité sur le véritable scandale de cet « indian business », système impliquant banquiers, avocats, juges, procureurs ou médecins pour faire main basse sur la fortune des Osages (au moins 8 millions de dollars, de l’époque…, jusqu’en 1925, selon une étude gouvernementale).
Tout commence de façon ironique quand, chassée de ses terres au Kansas par le gouvernement qui lui avait pourtant promis, par traité, de ne pas y toucher, la tribu Osage fut prier d’élire domicile dans ce qui deviendrait l’Oklahoma, sur des terres rocailleuses et inhospitalières dont aucun blanc ne voulait mais dont les sous-sols se révéleraient, plus tard, regorger de pétrole. Ce qui, au grand dam des blancs voisins, fit des Osages des hommes riches. La suite est moins drôle…Jaloux et frustrés de voir la tribu vivre dans l’opulence, certains blancs commencèrent à lorgner sur leur fortune. Et en 1921, des Osages commencèrent à disparaître inexplicablement. Empoisonnés ou tout simplement tués d’une balle dans la tête dans des ravins. 24 membres de la tribu entre 1921 et 1925, période que l’on surnomma rapidement « le règne de la terreur ». Les rares enquêtes diligentées par le shérif seront toutes des échecs. Sans que les autorités locales ne s’en offusquent réellement. Après tout, il ne s’agissait que d’indiens…En fait, tout le monde couvrait les agissements de Hale, l’homme qui tirait les ficelles en coulisses, car chacun y gagnait dans « l’affaire » puisque les curateurs (les indiens s’étaient vus interdits par le gouvernement de gérer leur propre argent pour « faiblesse raciale » et étaient mis sous tutelle) corrompus désignés par leurs amis leur faisaient ensuite profiter de l’argent des indiens et les juges fermaient les yeux en échange de leur soutien aux élections.
Avec une grande rigueur (chaque fait est dûment référencé dans les notes de fin de livre) et une clarté non moins impressionnante, Grann reconstitue l’enquête qui lança véritablement le FBI et, avec lui, son directeur légendaire Edgar Hoover et dévoile sous nos yeux incrédules l’ampleur de la conspiration. Portée par une narration très vivante qui insère ici ou là des coups de projecteur, sous forme de petits digressions, sur la personnalité des protagonistes pour nous permettre de bien comprendre le contexte de toute cette affaire, cette mise au jour de ce vaste scandale oublié suffisait amplement à faire de La note américaine une lecture passionnante, qui prend souvent des allures de thriller d’ailleurs (des hommes de main d’ Hale faisaient disparaître des témoins gênants ou graissaient la patte des juges). Mais le livre fait encore mieux en nous réservant, en guise de final, une surprise de taille. Car au gré des rencontres qu’il fait, Grann se rend compte que les 22 meurtres de l’affaire Hale ne sont en fait que la partie visible de l’iceberg mais qu’en réalité bien d’autres escrocs ont également organisé la disparition d’Osages (leur femme, souvent), par empoisonnement dans la plupart des cas, pour pouvoir ensuite faire main basse sur leur fortune. Car son enquête démontre que certaines disparitions inexpliquées de membres de la tribu ont commencé bien avant le règne de la terreur de Hale et qu’elles ont continué après son emprisonnement…révélant que la pratique de l’escroquerie et de meurtres d’indiens était bien plus répandue qu’il n’y paraissait de prime abord. C’est en fait toute une société, celle de Fairfax et de ses environs, qui s’était organisée pour détrousser les Osages…Ainsi Grann est par exemple parvenu à prouver qu’un banquier du nom de Burt (qui n’avait jamais été impliqué dans aucun meurtre jusque là), qui gérait aussi, par ailleurs, l’argent d’Osages en tant que curateur, fut le commanditaire de l’assassinat d’indiens et qu’il a lui-même tué Vaughan, un avocat qui enquêtait pour le compte des Osages sur l’affaire. L’un des moments très forts du livre se situe quand il révèle sa découverte à la petite-fille de Vaughan…
Un livre incroyable, qui en dit long sur la façon dont les indiens étaient encore traités après la conquête de l’ouest…La note américaine sera bientôt adapté au cinéma par Scorsese.
(Globe)