ROMAN. C’est la première fois que les éditions Héloïse d’Ormesson sortent un roman d’anticipation. On comprend cependant rapidement pourquoi La Roche a bousculé les habitudes éditoriales de la maison. Il y a en effet ici une puissance d’évocation surprenante pour un premier roman. Qui vous happe sans crier gare et ne vous lâche plus jusqu’à la dernière page. Impossible de ne pas s’attacher à ses personnages : à la piote Loo et à ses rêves de voler ; à son père Dael qui voudrait tant sortir les Rocailleux de leur torpeur, eux dont les désirs de révolte sont endormis par le magma, cet alcool frelaté qu’ils ingurgitent le soir venu ; à la fouisseuse ; si mélancolique depuis le départ de Lev et à Sol, l’artiste insouciant qui rêve, comme tous les Rocheux qui se tuent à la tâche dans le Gouffre pour cela, de quitter la Roche, si terne et délabrée, pour aller à la Capitale, où tout n‘est que plaisir et bien-être…si l’on en croit les images que les écrans géants diffusent continuellement un peu partout sur l’île. Inconcevable de ne pas savoir si l’insurrection, tant espérée par Dael, contre la Garde et le système totalitaire qu’elle a mis en place va avoir lieu ; si Sol va réussir à convaincre Loo de prendre le train lors de la Cérémonie organisée par la Garde pour aller avec lui dans la Capitale ; de découvrir ce qu’il y a de si incroyable et exceptionnel là-bas et qui pousse les Rocheux, la grande majorité des habitants de l’île, à accepter de pomper l’eau potable, si rare sur l’île, toute la journée, 7 jours 7, pour avoir une chance d’être parmi les 5 élus hebdomadaires de la Garde pouvant aller y vivre. D’autant que Martin Lichtenberg fait preuve d’une belle inventivité stylistique, jouant avec la langue et les sons quand la narration focalise sur Sol (“Autour des carcasses de bateaux bâtards, je déambule baba, la bouche béante et bute, quoi ?”), proposant des répliques saccadées et approximatives, énigmatiques du coup, quand c’est la Chose, ce vieillard étrange, qui parle ou un langage plus enfantin et insouciant quand on suit Loo dans son quotidien. Enfin, on ne niera pas que les différentes lectures métaphoriques auxquelles se prêtent La Roche (difficile de ne pas faire un parallèle entre le système mis en place par La Garde et nos sociétés de consommation capitalistes mais on peut y voir aussi une dénonciation de la religion et de ses promesses…) ne nous déplaisent pas…
Inventif, critique, poétique aussi (avec, notamment, ce fluide qui coule en chacun de nous et que la Garde veut prélever ou le rôle que l’Art et la musique y jouent…) : La Roche est un premier roman fort, très inspiré. On ne prend pas beaucoup de risques en annonçant que ce ne sera probablement pas le dernier livre de Martin Lichtenberg…On l’espère en tout cas !
(Roman, 382 pages – Héloïse d’Ormesson)