C’est un joli coup éditorial qu’Atrabile vient de réaliser là ! Sortir en langue française le nouveau roman graphique de Gilbert Hernandez, l’un des auteurs américains à avoir contribué à imposer la bande dessinée comme genre adulte (même si certains continuent de croire que la bd ne s’adresse qu’aux enfants…) à part entière aux Etats-Unis, voilà qui force l’admiration !
En fait, avec “La saison des billes” notre homme ouvre une sorte de parenthèse. Car contrairement à l’univers qu’il a développé avec ses frères pendant des années (ils ont commencé en 1981 et de nouveaux numéros continuent d’être publiés) dans le désormais presque mythique “Love and Rockets”, Hernandez se penche ici sur le cas de l’enfant. Car par “saison”, il faut entendre “période” ou “âge”. Un âge que l’auteur observe à travers un dispositif narratif simple –de petits évènements qui s’enchainent sans véritable transition, lien ou rupture dans la forme- qui prend l’apparence de souvenirs racontés en quelque sorte au fur et à mesure qu’ils reviennent à l’esprit. Car si les noms ne correspondent pas aux personnes faisant partie de la “vraie” vie d’Hernandez, il ne fait presque aucun doute que le récit est largement autobiographique. Les références aux chansons que les enfants écoutent ici (“Up On The Roof” des Drifters, “Thank You, Girl” des Beatles), les séries tv ou les films qu’ils regardent (“Bozo The Clown”, “Remous” ou “Mr Sardonicus”), les comics qu’ils lisent (les séries Marvel surtout), ou les cartes qu’ils collectionnent et s’échangent (les séries “Mars Attacks” ou “Les super-héros de Marvel”) : tout cela a clairement rythmé le quotidien du petit Gilbert dans les années 60 et a durablement marqué sa mémoire.
Aucun adulte n’est donc présent dans le récit. Oh, on mentionne bien parfois la mère d’Huey (l’alter ego fictionnel de l’auteur) ou le père de tel autre copain mais les adultes sont bel et bien physiquement absents, jamais représentés dans les cases. Car ce sont bien les enfants qui intéressent ici l’auteur. Leurs jeux, leur façon de fonctionner en groupe, leurs petites jalousies, leurs lâchetés, leurs rêves…Du coup, il n’y a pas non plus ici d’histoire, au sens où on l’entend habituellement. Hernandez suit simplement le garçon manqué Lana, la brute Barnabas, le malin Toody ou Huey et ses frères Junior et Chavo dans leur quotidien d’une banlieue typique nord-américaine. Rien de plus. Mais, s’il n’y a pas d’histoire, il se passe pourtant pas mal de choses pour qui sait regarder. Il y a là des déceptions, de l’orgueil, de la méchanceté, de l’amour et même des mini-tragédies (comme, par exemple, quand la mère d’Huey jette, par inadvertance, à la poubelle toutes ses collections de cartes). Et c’est tout le talent de l’auteur de parvenir à saisir avec acuité ces instant furtifs et subtils –la découverte du corps, la puissance de l’imaginaire enfantin, l’irruption du désir- qui captent parfois l’essence même de l’enfance au beau milieu d’une bagarre, d’une discussion pour savoir qui de “Bozo le Clown” ou de “Remous” est la meilleure série tv ou d’une partie de G.I. Joes que l’on roule dans la boue ou que l’on balance contre le mur.
Un récit, plus subtil qu’il n’y paraît de prime abord, qui sonne juste et qui parlera à tout le monde –beaucoup des choses que l’on vit à cet âge-là sont partout sur Terre les mêmes- même si l’ancrage profond de “La saison des billes” dans la culture américaine (qui n’avait pas encore pénétré notre société comme maintenant) des années 60 empêchera le lecteur français de complètement s’identifier à Huey et ses copains. C’est le seul bémol à propos de ce nouvel Hernandez.
(Récit complet – Atrabile)