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LA STERNE ROUGE (Jesuthasan)

ROMAN. Ala a été condamnée à 300 ans de prison par la justice sri-lankaise pour avoir projeté un attentat kamikaze pour le mouvement de libération des Tigres Tamouls. Alors, tous les jours, elle écrit pour ne pas devenir folle. Elle raconte son enfance au sein d’une communauté Tamoule progressivement mise en minorité, discriminée et menacée (son oncle disparut un jour et son frère finira par se faire décapiter…) par les milices cinghalaises soutenues et entraînées par l’armée sri-lankaise. Elle parle aussi des mains baladeuses de pépé Nannitambi, le beau-père de sa tante, qui n’arrêtera malheureusement pas là…et de comment elle a rejoint les Tigres Tamouls et le camp d’entrainement d’India Charlie ainsi que la mission Twin Wings qu’on lui confia. De la vie, ou plutôt de la non-vie en prison et de sa sortie, miraculeuse, pour rejoindre ce pays froid en Europe qui devait lui donner la liberté…

Waouh ! La Sterne rouge est un vrai choc. C’est quasiment en apnée que l’on lit l’histoire d’Ala tellement elle est forte et poignante. Inventée, bien sûr, mais tellement vraie et crédible. Son auteur, Antonythasan Jesuthasan (l’acteur principal de Dheepan de Jacques Audiard mais qui écrit aussi !), a grandi au Sri-Lanka et a été enfant soldat du Mouvement de libération des Tigres Tamouls, il sait donc de quoi il parle et ce que peut ressentir Ala…Surtout, tout sonne juste dans son roman. La vie simple dans le village d’Ala, les persécutions des Cinghalais envers les Tamouls, les superstitions (« Chez nous, on dit qu’une femme enceinte ne doit pas regarder les éclipses du soleil sans quoi l’enfant naît avec un bec-de-lièvre »), les fêtes religieuses, comme Vesak, et leurs préparatifs, la dictature des castes : tout cela concourt à donner chair et os à La Sterne rouge. Et lui permet de relever un pari complexe : faire comprendre l’incompréhensible ! C’est-à-dire montrer comment une jeune femme tout ce qui a de plus normale en vient à vouloir une mort héroïque, à mourir en se faisant exploser pour la cause qu’elle défend : la libération du peuple Tamoul, opprimé depuis si longtemps au Sri-Lanka. Jesuthasan le fait d’une plume singulière : subtile et souvent très imagée (comme peut l’être la langue Tamoule, comme quand Ala dit de la sœur de sa mère : « Ma tante, c’est le lait que vous ne pouvez pas boire parce qu’il est brûlant mais que vous ne pouvez pas jeter parce que c’est du lait ») mais en même temps efficace et percutante. Qui rend hommage, en creux, à la culture Tamoule et nous parle aussi d’une autre oppression que celle des Cingalais envers les Tamouls : celle des hommes envers les femmes, ainsi que du statut de réfugié (« En vieillissant je me laissais de plus en plus contaminer par la peur. Cette vie de réfugié vous détruit à petit feu. Elle vous transforme en créature de papier, en demi-visa que le moindre souffle de vent pourrait emporter », explique le narrateur, alter-ego fictionnel de l’auteur). Une voix singulière, pour un grand récit, qui vous hante longtemps après sa lecture achevée !

(Récit complet, 320 pages – Zulma)

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