BD. Il ne vous aura sans doute pas échappé que l’on va fêter, dans quelques semaines, les 50 ans de Mai 68. Et on peut s’attendre à ce que quantités de films, livres, bds ou documentaires sortent pour l’occasion. Si vous aviez à n’en choisir qu’un seul, cela pourrait être La veille du grand soir.
Sur le même principe narratif qu’Octobre 17 (dont le scénario est signé du même Patrick Rotman), qui revisitait la révolution russe, La veille du grand soir se propose de nous faire revivre ces événements qui ont durablement marqué notre pays. De façon aussi complète que captivante. Car Patrick Rotman (célèbre scénariste à qui l’on doit Eté 44 ou La conquête) s’intéresse ici à ce qui s’est passé des deux côtés des barricades. « En bas et en haut », comme il le dit dans sa préface. Il s’intéresse aux aspirations (surtout de liberté. Pour ne donner qu’un exemple, il n’y avait qu’une chaîne de télévision unique à l’époque et elle était contrôlée par l’état…) des étudiants et du peuple français mais aussi à la réaction des gouvernants et à leur façon de gérer ce mouvement de protestation. Et il était peut-être le mieux placé pour ça puisqu’ étudiant à l’époque à la Sorbonne, il était en première ligne lors de la révolte étudiante et a été le témoin direct de ce qui s’est passé. Mais aussi parce que devenu écrivain et documentariste un peu plus tard, il a ensuite rencontré les principaux protagonistes de Mai 68 pour les interroger afin d’en tirer des films ou livres éclairant cette période. On suit donc ici, presque heure par heure, le déroulement des événements. De l’origine de la grogne des étudiants (après qu’une vitrine de l’agence de l’American Express ait été brisée pour manifester contre la guerre du Vietnam, les responsables, membres de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire, furent arrêtés, ce qui provoqua la colère d’autres étudiants qui, sous l’impulsion de Cohn-Bendit, créèrent le mouvement du 22 mars pour protester), au rôle primordial joué par Cohn-Bendit en passant par le soutien, important, des ouvriers, la volonté de fermeté (il était hors de question pour lui que l’état plie devant la jeunesse et il rappela à plusieurs reprises à Fouchet qu’un ministre de l’intérieur doit « savoir donner l’ordre de tirer » aux policiers…) d’un général de Gaulle complètement en décalage avec ce qui pouvait se passer (il avait alors 77 ans…) ou encore le rôle joué par les radios: Rotman et Vassant (qui propose ici un trait direct qui privilégie clairement la spontanéité à la précision technique, donnant ainsi l’impression qu’il croque sur le vif ces événements) démêlent, avec une grande réussite, tous les fils (et ils sont nombreux!) des événements pour montrer quel fut le rôle de chacun (les syndicats, le parti communiste, les responsables politiques, les leaders étudiants…) et comment un simple mouvement de contestation étudiant aboutit finalement à l’insurrection que l’on connaît (le pays finit par être complètement paralysé et sur la fin étudiants et grévistes occupaient nombre d’universités et de lieux clés) et engendra, par la suite, nombre de changements dans une société française encore très rétrograde. La veille du grand soir est vraiment une grande réussite. Une très belle occasion de se replonger (et de comprendre) les événements de Mai 68.
(Seuil/Delcourt)