Après son excellent “Castro” paru l’an dernier, on avait vraiment envie de se pencher sur le nouveau récit de Reinhard Kleist. Et “Le boxeur” est de nouveau une biographie, genre dans lequel l’auteur allemand semble se sentir le plus à son aise. Si la trajectoire sur laquelle Kleist a décidé de mettre un coup de projecteur est cette fois moins célèbre que celle du héros de la révolution cubaine, elle possède pourtant, comme elle, des accents héroïques, épiques et extra-ordinaires. De quoi remplir plusieurs vies normales en fait !
Cette vie, c’est celle de Hertzko Haft, juif polonais originaire de Balchatow. Quand le récit commence, en 1939, Hertzko, alors adolescent, profite, avec ses frères, de l’occupation allemande et de la division de son pays en 2 zones pour se livrer à de petits trafics afin de faire bouillir la marmite familiale. A la même période, il rencontre Leah Pablinski dont il tombe éperdument amoureux. Mais au moment où son frère aîné va transmettre sa demande en mariage au père de Leah, Hertzko est réquisitionné pour aller travailler en camp par les allemands. Le début d’une descente dans les enfers concentrationnaires qui le mènera aussi à Strzelin, jusque dans la mine de Jaworzno et même à Auschwitz. Une folie et une horreur auxquelles il parvint à survivre en s’accrochant à l’espoir de revoir Leah un jour et grâce à la boxe !
C’est bien sûr ce dernier aspect qui donne tout son intérêt à ce récit (plus que l’histoire d’amour…). Car si “Le boxeur” bénéficie d’une narration fluide, solidement documentée, d’un scénario fort (le parcours du héros pour retrouver sa bien-aimée s’apparente parfois à la Passion du Christ) et d’un dessin en noir et blanc très lisible et expressif (dans la lignée d’un Eisner sans toutefois atteindre sa virtuosité technique), la période abordée –la seconde guerre mondiale et, surtout, les camps- avait déjà été tellement traitée qu’il lui fallait tout de même trouver un angle singulier pour se différencier. Et cet angle, c’est la boxe dans les camps de la mort. Car on le sait peu (je l’ai moi-même découvert ici) mais, pour se distraire, certains officiers allemands organisaient des rencontres de football, des tournois de handball et donc, aussi, des combats de boxe entre prisonniers dans les camps. Ces derniers étaient même assez répandus : si Hertzko dût (s’ils refusaient de combattre ils étaient exécutés) en livrer 75, il fût loin d’être le seul. Beaucoup d’autres boxeurs, parfois professionnels (comme le tunisien Perez ou l’italien Efrati) furent en effet également contraints de combattre. Perdre sur le ring pouvait parfois signifier la mort. A contrario, les meilleurs boxeurs pouvaient être protégés par des officiers SS. C’est ce qui arriva à Hertzko et lui permit probablement d’en réchapper pour ensuite émigrer aux Etats-Unis dans l’espoir de retrouver la trace de Leah.
Un destin hors normes auquel le récit, très bien mené, a su rendre hommage sans tomber dans l’hagiographie pure et simple (la violence et le mauvais caractère de Haft n’ont, par exemple, pas été éludés). Recommandé !
(Roman graphique complet – Casterman)