BD. Jeune singe, Sans-Voix va peut-être avoir, enfin, l’occasion de s’affirmer au sein du clan et de montrer à Nouvelle-Mère qu’il est devenu fort. Car la situation est grave : les terres où le clan vit sont devenues inhospitalières, il n’y a plus, en effet, ni gibier ni autre nourriture. C’est alors qu’un longue-gueule blessé est repéré par l’un des membres. Il se dirige vers une mare. Une proie difficile, même affaiblie, d’autant que le crocodile se dirige vers les-terres-du-bord-du-monde, là où il est interdit d’aller. Mais le clan n’a pas le choix : affamé, il lui faut la chair de ce longue-gueule même s’il doit aller sur le territoire des humains pour cela…
Chaque nouveau livre (on parle de ses récits pour adultes, notre homme sortant également des livres pour les enfants, notamment la série à succès Seuls) de Vehlmann est un événement en soi, le scénariste ayant démontré tout son talent et sa capacité à sortir des récits singuliers et marquants. Le Dieu-Fauve ne fait pas exception et surprend de par sa construction, atypique et astucieuse. Car ce résumé ne parle que des débuts de Sans-Voix dans son clan. Après un narrateur omniscient, ce sont ainsi trois personnages qui se relaient ensuite pour raconter leur histoire : Athanael, aède (une sorte de poète-chanteur) officiel de la maison Matrya qui vient d’être affranchi ; la veneuse, guerrière au service de la consule qui a été bannie de la capitale de l’empire et Awa, esclave qu’Athanael a choisie pour la former et lui succéder. Trois personnages qui content, à tour de rôle, leur quotidien, leur condition, leurs désirs aussi et à travers lesquels on vit en fait leur traque par Sans-Voix devenu Dieu-Fauve qui veut faire payer à ces humains les souffrances et les cruautés qu’ils lui ont infligées pour le transformer en tueur impitoyable. Des protagonistes dont les aspirations sont différentes à tel point que certains en perçoivent d’autres comme leurs ennemis et qui ont pourtant tant en commun. Notamment celui d’appartenir au même camp, celui des dominés, des opprimés. Parce qu’ils sont animal, esclave ou femme…Mais que la haine les empêche de le voir…
Une narration d’une grande maîtrise que Roger met en scène avec brio. Son dessin est incroyablement vivant, le découpage dynamique et la mise en couleur idoine, au service d’une histoire sombre, très désenchantée, qui nous parle de désir de domination, de pouvoir, d’oppression et de vengeance. Brillant, à tous points de vue !
(Récit complet, 112 pages – Dargaud)