BD. Le fantôme d’Odessa, c’est Isaac Babel, célèbre écrivain russe (dont le roman le plus célèbre est Cavalerie rouge) tué par le régime de Staline le 27 janvier 1940 parce qu’il fallait effacer les témoins de cette révolution communiste qui avait oublié ses racines. Une mort que l’on cacha à sa famille pendant très longtemps (aux demandes de sa seconde femme, Antonina, on répondait qu’il était vivant et se trouvait en détention. En août 1952, un prétendu camarade de camp de son mari est même venu la trouver pour lui donner des nouvelles de Babel qui travaillait comme comptable et vivait bien…). Il fallut d’ailleurs attendre 1984 pour connaître la date exacte de sa mort…Une culture du mensonge du régime communiste qui perdure…l’actuel régime russe tentant régulièrement d’entraver (en recourant à des procès truqués, à de fausses accusations ou à la persécution…) l’action de l’association Memorial qui a vu le jour en 1989 (son premier président fût Sakharov) pour constituer des archives sur les crimes du communisme et réhabiliter ses victimes innocentes.
Une volonté de contrôler le passé contre laquelle Camille de Toledo et Alexander Pavlenko (qui avaient déjà collaboré sur Herzl) ont aussi voulu s’élever en imaginant ce roman graphique au scénario original puisqu’il raconte les derniers mois de la vie de Babel, et notamment sa période de détention pendant laquelle il fut torturé pour lui arracher des aveux, à travers une lettre imaginaire que l’écrivain adresse à sa fille Nathalie (qu’il a très peu connu puisqu’elle vivait en France avec sa première femme qui avait fui l’URSS). Une lettre dans laquelle il lui demande de ne pas croire ce que le régime dira de lui et de se tourner vers ses œuvres pour comprendre qui il était. Et notamment un scénario de film que Sergueï Eisenstein avait commandé à son père sur la vie de brigands juifs d’Odessa (avec, à leur tête, le Roi Bénia Krik, un bandit anarchiste qui volait les riches pour donner aux pauvres et dont le destin a de troublantes ressemblances avec celui de Babel), un projet que le réalisateur abandonna mais auquel Toledo et Pavlenko donnent ici vie (magie de la BD !) dans l’un des chapitres du livre.
Un bel hommage à Babel mais aussi à tous ceux qui, à l’instar de l’association Memorial, essaient de briser le silence imposé par le régime russe actuel et faire advenir la vérité.
(Récit complet, 226 pages – Denoël Graphic)