BD. Un berger (et encore il s’en va à la fin du tome 3, remplacé par Athanase Percevalve, un garçon…), son chien (très, et peut-être même trop, intelligent) et un troupeau de brebis (qui parlent) dans les alpages : avec ce dispositif narratif pour le moins minimaliste F’Murrr, qui invente Le Génie des Alpages en 1973 avec un premier épisode qui paraît dans Pilote, sortira 14 albums. Il continuera d’ailleurs à travailler sur la série jusqu’à sa mort (il travaillait sur les crayonnés du 15e album quand il disparut…) en 2018. Autant dire (et c’est ce que souligne Jean-Christophe Menu dans son introduction) que Le Génie des Alpages est la série d’une vie pour son auteur. Qui déploya des trésors d’inventivité, à tous les niveaux, pour qu’elle continue à exister et à avancer. En la faisant évoluer en même temps que lui (le gaufrier de 8 cases de départ sera rapidement bousculé pour faire place à une mise en page plus libre et inventive). En l’utilisant comme laboratoire d’expérimentations (graphiques, un peu, surtout en ce qui concerne les couleurs ; narratives, beaucoup, F’Murrr prenant un malin plaisir à jouer avec les codes de la BD -des messages cachés ici ou là entre les cases à destination du lecteur ; des personnages qui commentent la mise en page…). En faisant intervenir des guest stars (un lion, un sphinx qui a le mal du pays, le Petit Prince de Saint-Exupéry…). Et en faisant en sorte que ce petit monde coincé entre ses montagnes reste avant tout imprévisible. Car si son dispositif préféré reste la double page et qu’il s’en prend régulièrement à sa cible favorite (les touristes, brutalisés tour à tour par les moutons, un renard enragé, un téléphérique fou…), tout est possible ici avec ce chien de berger et ces moutons qui n’en font qu’à leur tête. Calembours miteux (« C’est moi l’Eugénie des alpages »), conversations philosophiques entre brebis, poésie, auto-dérision (« Depuis quelque temps l’ennui féroce dégouline sur les alpages »), humour absurde (beaucoup) : F’Murrr fait ici feu de tout bois ! Une intégrale (qui comprendra 5 tomes en tout, dont le dernier proposera le 15e resté inachevé…) qui tombe à pic pour découvrir ou redécouvrir l’œuvre de cette figue de la BD franco-belge !
(Intégrale en 5 tomes, 168 pages – Dargaud)