BD. Le petit peuple qui habite le Bois des mille feuilles mène une vie simple et modeste (il se nourrit de champignons et de racines) mais heureuse. Même si certains jeunes sont attirés par la ville des géants, les humains…Ils connaissent pourtant l’interdit formel d’avoir un contact avec eux depuis « la grande explosion », une légende régulièrement racontée lors des veillées. Malgré tout, un jour, Rameau, poussée par sa curiosité et son attrait pour les belles robes des géantes, dépasse la lisière de la forêt pour se rapprocher du chemin de fer. Surprise en pleine désobéissance, elle doit passer devant le conseil des sages qui la condamne à quitter la tribu. Si elle désire la réintégrer, elle devra découvrir pourquoi les humains ont le cœur malade…
Métamorphoses offre souvent de belles surprises. C’est une nouvelle fois le cas de Le Grand voyage de Rameau, dont l’édition, superbe (grand format, beau papier, jolies pages de garde, titre en relief…), comme d’habitude avec la collection, donne un côté ancien au livre dont l’histoire se passe en Angleterre au XIXe siècle. Un voyage synonyme d’aventures: Rameau se rend dans la ville monstre à dos de truite et de canard puis visite Londres à dos de chat guide pour découvrir ses principaux monuments -Big Ben, le palais de Westminster (« des chambres qui servent de dortoir à de nombreux humains mâles et plutôt âgés »), Harrod’s (« le plus grand bazar de Londres ») ou Hyde park (l’hôtel de prédilection des touristes magiques: fées, gnomes et autres lutins) mais surtout initiatique pour la jeune Rameau, accompagnée d’une chenille, d’un vieil ermite aveugle qui a des pouvoirs magiques et d’une grenouille qui voit pour lui. Car elle va ainsi se rendre compte de ce qu’il y a vraiment derrière la beauté des géantes: l’injustice (les femmes n’ont pas leur mot à dire), la misère (des gens dorment dans les rues), la souffrance, la prostitution ou l’exploitation qui existent dans la société des humains (« un vrai cauchemar », conclue-t-elle). Au cours de son périple, elle rencontrera le philosophe Morris (il a écrit des essais sur le travail et l’esclavage moderne), Oscar Wilde en plein travail sur Le Portrait de Dorian Gray, la reine Victoria, Lewis Caroll qui raconte une histoire à Alice sur un bateau, le peintre Whistler ou Jack l’éventreur qui rôde dans les bas fonds et comprendra qu’aider les autres est plus important que posséder des choses (« la babiolite aiguë », maladie qui touche beaucoup d’humains).
Un joli récit qui s’adresse aux enfants (à partir de 10-11 ans) aussi bien qu’aux adultes. Critique envers les hommes mais rempli de poésie, dessiné à l’ancienne par Phicil (dans la façon de figurer les personnages mais aussi dans la mise en couleur à l’aquarelle), comme si Le Grand voyage de Rameau avait été réalisé en pleine époque victorienne (le récit est d’ailleurs ponctué d’extraits d’œuvres de Wilde ou Whistler et d’illustrations inspirées par des peintres -Monet, Whistler ou Doré- et des courants artistiques de l’époque). Une belle réussite!
(Récit complet, 216 pages – Métamorphoses/Soleil)