LIVRE. François Schuiten avait déjà travaillé, en collaboration avec le sculpteur Pierre Matter, pour Amiens qui leur avait commandé une sculpture monumentale autour de l’œuvre de Jules Verne pour affirmer de façon plus visible la présence de l’écrivain (il y vécut nombre d’années et y écrivit pas moins de 34 de ses romans) dans la ville. Après avoir envisagé une reconstitution de la fusée en forme d’obus présente dans le roman De la Terre à la Lune, ils optent finalement (ils jugent la sculpture un peu “agressive”) pour une forêt de bambous géants et des projections nocturnes de gravures accompagnant Les Voyages extraordinaires sur deux murs d’eau, toujours visible d’ailleurs, sur le parvis de la gare. Mais les deux hommes n’oublient pas cette idée de sculpture monumentale qui finit par ressurgir il y a peu sous la forme d’une créature hybride qui mêle le Nautilus et le poulpe avec lequel il combat dans une scène de Vingt mille lieues sous les mers restée célèbre. Le nauti-poulpe, c’est son nom, qui est en cours de fabrication dans une fonderie sous la direction de Matter, mesurera 10 mètres de long et 7 de haut et sera installé début 2025 pour le 120é anniversaire de la mort de Jules Verne dans le quartier de la Halle Freyssinet; là où le festival BD d’Amiens a lieu chaque année en juin depuis 2018. Un nauti-poulpe dont Benoit Peeters a proposé de raconter l’histoire et l’arrivée à Amiens à Schuiten le jour où il a découvert, ébahi, ses dessins de cette créature et qui allait devenir Le Retour du capitaine Némo. Qui, par un tour de passe-passe scénaristique, se rattache au cycle des Cités obscures, la grande Œuvre commune des deux auteurs. Et se présente, à l’image du nauti-poulpe, mi-animal mi-machine, comme un livre hybride : mi-bande dessinée mi-récit illustré, en noir et blanc puis en couleurs, entre imaginaire (celui de Jules Verne, revisité par les deux auteurs) et réalité (la ville d’Amiens et ses bâtiments les plus connus : le cirque, la cathédrale, la Tour Perret y sont présents), passé (l’œuvre de Jules Verne) et présent (le projet de sculpture actuel). Un récit qui prend l’apparence d’un beau livre, comme les romans de Jules Verne illustrés de gravures que son éditeur belge, Hetzel, faisait paraître à l’époque : la “renaissance” du capitaine Némo (il avait disparu à la fin de L’Ile mystérieuse) dans le nauti-poulpe racontée page de gauche étant accompagnée, sur la page de droite, par un dessin pleine page de Schuiten, magnifique, dont le style (une multitude de traits fins réalisés à la plume qui s’entrecroisent et jouent avec ombres et lumières) “imite” les gravures du XIXe siècle. Un voyage étonnant, qui joue à plein sur le mystère, superbe à contempler, qui est prolongé par une évocation de la vie de Jules Verne accompagnée par des dessins que Schuiten avait réalisés pour l’édition, (chez Hachette) en 1994, de Paris au XXe siècle, un roman inédit de Verne dont le petit-fils avait retrouvé par hasard le manuscrit quelques années auparavant. Un très beau livre qui plaira autant aux fan de Jules Verne qu’aux inconditionnels des Cités obscures puisque l’univers du premier a influencé les récits de Peeters et Schuiten.
(Récit complet, 96 pages – Casterman)