2008. A plus de 80 ans, Abdesslem vit dans un foyer social Adoma de Dreux, loin de se famille restée au Maroc. Pourquoi ? C’est le vieux monsieur lui-même qui nous l’explique dans « Le tirailleur ». Il raconte comment, à 17 ans, il a été enrôlé de force par l’armée française pour combattre les allemands lors de la seconde guerre mondiale alors qu’il était allé à la ville chercher du pétrole pour l’éclairage de la maison de ses parents. Nous sommes alors en 1939 et le jeune homme ne reverra les siens que 3 ans plus tard lors de sa première permission ! Après avoir connu la faim, le froid, la fatigue et la peur. D’enrôlements contraints en réengagements volontaires (on lui avait promis une retraite militaire s’il continuait), le tirailleur restera dans l’armée française jusqu’en 1954, après avoir combattu les 2 dernières années en Indochine…Pensant alors être à l’abri du besoin, il reprend sa vie de cultivateur. Mais 2 ans plus tard, avec la fin du protectorat français au Maroc, l’administration décide de réévaluer les retraites militaires en fonction du niveau de vie du pays. Pire, les pensions sont ensuite gelées, sans qu’il ne soit prévu de les réévaluer selon le coût réel de la vie ! Au bout d’un moment, Abdesslem et sa famille ne s’en sortent plus et quand il apprend un jour qu’il a droit à une allocation vieillesse s’il réside au moins 9 mois par an en France, le vieil homme décide d’accepter cet exil pour le bien de sa famille…
En 2008 et 2009, dans le cadre d’une commande, Alain Bujak photographie le quotidien de « Bellevue », une résidence sociale. C’est à cette occasion qu’il rencontre Abdesslem et découvre son incroyable destin. S’étant pris d’amitié pour lui, le photographe viendra revoir à plusieurs reprises le vieil homme avant de se décider à raconter son histoire dans ce récit. Et sincèrement, il est difficile de ne pas être touché par ce « Tirailleur », dans lequel il brosse un portrait pudique et sensible de ce vieil homme, parfaitement aidé en cela par la délicatesse et la justesse des crayons de couleurs de Piero Macola (dont on avait déjà beaucoup aimé le travail sur « Dérives », récit paru chez Atrabile en 2010), et qui rend enfin justice à Abdesslem, et à travers lui à tous les oubliés des anciennes colonies françaises, eux dont l’état français continuait de bafouer l’engagement, le courage et la mémoire en refusant de réévaluer les pensions encore très récemment.
Un très joli roman graphique judicieusement prolongé, cerise sur le gâteau, par un émouvant reportage photographique accompagné de textes de Bujak réalisé lors de son voyage chez Abdesslem, au Maroc, en 2011, pour l’aider à monter un dossier pour faire revaloriser sa pension militaire lorsqu’un projet de finances voit enfin le jour pour le permettre.
(Roman graphique – Futuropolis)